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L'amour est la seule vĂ©ritĂ© et je vous aime plus que je ne peux jamais le dire en mots My ONE. Veuillez me pardonner ma folie sombre nourrie et alimentĂ©e par l'insĂ©curitĂ© Housse d'ordinateurPar Michelle Lee BlattJe ne suis pas autoritaire, je sais juste comment faire les choses correctement Ătui portefeuille iPhonePar Supernova08paisible dĂ©corer les couleurs sans couture colorĂ© rĂ©pĂ©ter modĂšle Ătui portefeuille iPhonePar AbrahamjrndCuisson ThĂ©rapie Dames Housse d'ordinateurPar Linenistdessins paisibles de couleurs aiment motif de rĂ©pĂ©tition colorĂ© sans soudure Housse d'ordinateurPar Abrahamjrnddessins de couleurs coulĂ© paisible motif de rĂ©pĂ©tition colorĂ© sans soudure Skin adhĂ©sive d'ordinateurPar Abrahamjrnddessins d'amour dĂ©corer paisible motif de rĂ©pĂ©tition colorĂ© sans soudure Skin adhĂ©sive d'ordinateurPar AbrahamjrnddĂ©corer des dessins paisible motif de rĂ©pĂ©tition colorĂ© sans soudure Ătui portefeuille iPhonePar AbrahamjrndcoulĂ© des dessins paisibles transparente motif de rĂ©pĂ©tition colorĂ© Housse d'ordinateurPar AbrahamjrndCouleurs d'amour coulĂ© motif de rĂ©pĂ©tition colorĂ© sans soudure Coque rigide iPadPar AbrahamjrndJ'aime la façon dont elle me donne l'impression que tout est possible ou que la vie en vaut la peine. 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Tapis de souris XXLPar Happy-ChildElle Ă©tait sa propre muse - Citations de motivation pour le travail PensĂ©es de motivation Housse d'ordinateurPar FeministvibesLion Tigre et Ours Oh My Fun Jungle Zoo Animal Lover Coque rigide iPadPar JosephinAndrews Comme des poulets OK Mignon J'aime le poulet Housse d'ordinateurPar OloriHeritageLes yeux disent ce qui ne peut pas ĂȘtre dit Ătui portefeuille iPhonePar ShubatdesignsFAITES CE QUE VOUS AIMEZ - Noir et blanc - Marque moderne - design minimaliste - citation de motivation Tapis de souris XXLPar Art4MotivationFAITES CE QUE VOUS AIMEZ - Nuages aquarelles avec des conseils de vie inspirants Tapis de sourisPar Art4MotivationRecherche par catĂ©gorieTu es ce que tu manges Coque rigide iPadPar ELYAS0Tu es ce que tu manges Skin adhĂ©sive d'ordinateurPar NewTopDesignLisez-moi ci-dessous Chatbox Skin adhĂ©sive d'ordinateurPar Erraz DesignsRottweiler Soul I Love Rotties Dog Lover Coque rigide iPadPar AdelbertStoiberfais ce que tu aimes ce que tu aimes, aime, fais ce qui te rend heureux, fais ce que tu aimes, script, heureux Tapis de sourisPar H4AelevenHonnĂȘtement, je suis juste lĂ pour le Candy Funny Halloween Tapis de souris XXLPar DavidChawick Coquelicot parce que grand-pĂšre est pour les cadeaux de fĂȘte des pĂšres de vieux gars Coque rigide iPadPar SanSeoyeontrouve ce que tu aimes Housse d'ordinateurPar redbubble trendsTout ce que tu peux imaginer est rĂ©el Coque rigide iPadPar TeamHashtagpas ce que tu penses Tapis de sourisPar classybyclassyfais ce que tu aimes main, aime, fais ce qui te rend heureux Tapis de sourisPar H4AelevenCadeau vintage natif de Bama Dad Alabama Coque rigide iPadPar WaldemarPreisJuste un garçon qui aime les lamas VĂȘtements Art Farmer Lama Skin adhĂ©sive d'ordinateurPar BedsickerTraceyQu'est-ce que tu vas devenir Tapis de souris XXLPar CherylElisaJuste une fille qui aime les pit-bulls Coque rigide iPadPar WaldemarPreisFemme juste une fille qui aime les pitbulls et a des tatouages vintage Skin adhĂ©sive d'ordinateurPar zookerwingaomukcrois que tu peux Ătui portefeuille iPhonePar Tranding ArtLucky 7 Live to Ride Ătui portefeuille iPhonePar ColtTopCadeau femme juste une fille qui aime danser et chanter Housse d'ordinateurPar arturoambrosxfxCe Gnome Hippie Weed Gnome Jouant De La Guitare Housse d'ordinateurPar Sylviea Tille1aJuste une fille qui aime la danse et les chiens cadeau femmes Coque rigide iPadPar minerpassmorbemPops sait tout drĂŽle FĂȘte des pĂšres Coque rigide iPadPar BasirKazimovplus que tu ne vois Tapis de sourisPar classybyclassytout ce dont tu as besoin c'est d'un amour Tapis de sourisPar OnamiroJuste une fille qui aime les chiens et le cadeau de théùtre Amoureux des chiens Housse d'ordinateurPar hindsbartelsjocCadeau de fĂȘte des pĂšres papa Racing pour hommes Coque rigide iPadPar AsserQuaschnyTout ce que je suis, tu m'as aidĂ© Ă devenir Skin adhĂ©sive d'ordinateurPar CorrojaTu dĂ©cides Ătui portefeuille iPhonePar spkFashionTu peux y aller quand tu veux mais tu ne peux pas venir quand tu veux. 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REPĂËRES HISTORIQUES Stendhal a empruntĂ© son canevas initial Ă l'actualitĂ©, s'inspirant del'histoire d'Antoine Berthet, originaire du village de Brangues, Ă©tudiantaux sĂ©minaires de Grenoble et de Belley, guillotinĂ© Ă Grenoble, le 23fĂ©vrier 1828, pour tentative d'assassinat sur la personne de Mme ce fait divers, Stendhal avait eu connaissance par les comptes rendusproposĂ©s par _La Gazette des Tribunaux _, notamment les 28, 29, 30,31 dĂ©cembre 1827, et 29 fĂ©vrier 1828. Ces textes sont reproduits enappendice dans le tome II des _ Romans_, de la collection Ă L'IntĂ©grale Ă»,Seuil, 1969, pp. 649-656. L'idĂ©e d'un roman serait venue Ă l'auteur enoctobre 1829 ; le titre du roman, en mai 1830 le Rouge pour signifierles idĂ©es rĂ©publicaines de Julien; le Noir, la soutane qu'il porta unmoment. A partir du mois de mai, et jusqu'en novembre, Stendhal faitcomposer par l'Ă©diteur les chapitres au fur et Ă mesure qu'il les Ă© est interrompue entre le 25 juillet et le 4 aoĂ»t 1830, pourcause de rĂ©volution. Le 6 novembre, Stendhal part pour l'Italie, occuperson poste de consul Ă Civita-Vecchia, oĂÂč le nouveau rĂ©gime l'a nommĂ©.L'Ă©dition originale, en 2 volumes, paraĂt au dĂ©but de dĂ©cembre 1830 ;Stendhal n'a pas revu les Ă©preuves des derniers chapitres avant son dĂ© seconde Ă©dition, en 6 volumes, paraĂtra en Stendhal avait publiĂ© son premier roman _ Armance _, en aoĂ»t1827 ; son autre grand roman, _ La Chartreuse de Parme _ verra le jour enavril 1839 - deux textes accessibles sur le site de l'ABU. Stendhal devaitmourir Ă Paris le 23 mars 1842. RESUME DU ROMAN LIVRE PREMIER Chapitre 1 Description de la petite ville de VerriĂšres. Son aisance. Portrait dumaire, installĂ© depuis 1815 M. de RĂÂȘnal, propriĂ©taire de la fabrique declous. Pour agrandir ses jardins, M. de RĂÂȘnal a dĂ» nĂ©gocier ferme avec lepropriĂ©taire de la scierie M. Sorel, pĂšre de Julien. Tyrannie del'opinion Ă VerriĂšres. Chapitre 2 La promenade de VerriĂšres le Cours de la FidĂ©litĂ©, embellie par M. deRĂÂȘnal, enclenche une rĂÂȘverie poĂ©tique de l'auteur la vue sur la campagney est somptueuse, quoique l'autoritarisme du maire ordonne une tailleimpitoyable des platanes tous les ans. Dans cette ville, l'utilitĂ© etl'argent rĂšgnent en maĂtres. Depuis peu, les notables redoutent l'arrivĂ©ed'un Parisien, dont les dĂ©nonciations, dans les journaux libĂ©raux,pourraient leur attirer quelques ennuis. Chapitre 3 Le Parisien en inspection est guidĂ© par l'abbĂ© ChĂ©lan, Ă qui les autoritĂ©sreprochent cette complaisance, qui pourrait lui coĂ»ter sa place. Poursoutenir son rang, M. de RĂÂȘnal songe Ă engager Julien Sorel commeprĂ©cepteur de ses enfants. Portrait de Mme de RĂÂȘnal une ĂÂąme naĂÂŻve, qui nes'avoue pas qu'elle s'ennuie auprĂšs de son mari. Chapitre 4 Pour nĂ©gocier l'engagement de Julien, M. de RĂÂȘnal rend visite au PĂšreSorel. Au lieu de surveiller la scie, le jeune homme est en train de lirele _ MĂ©morial de Sainte-HĂ©lĂšne _, activitĂ© odieuse Ă son pĂšre, qui ne saitpas lire. Portrait de Julien, plutĂÂŽt maladif, et qui hait son entouragefamilial. Chapitre 5 Lorsque son pĂšre lui annonce son engagement, Julien fait aussitĂÂŽt connaĂtrequ'il n'acceptera pas de manger avec les domestiques - opinion qui luivient de la lecture des _ Confessions _ de Rousseau. NĂ©gociation finaude duPĂšre Sorel avec M. de RĂÂȘnal, au terme de laquelle il parvient Ă fairemonter appointements et avantages en nature. L'accord conclu, Julien partau chĂÂąteau, occasion de dĂ©voiler ses projets ambitieux, et la conduitehypocrite dont il les voile dans cette Ă©poque de Restauration, il vise lavoie royale, qu'est la prĂÂȘtrise. En passant par l'Ă©glise, Julien y dĂ©couvreune coupure de journal relatant l'exĂ©cution Ă Besançon d'un certain Lurel,dont le nom rime avec le sien. Chez elle, Mme de RĂÂȘnal redoute, pour sesenfants, l'arrivĂ©e d'un prĂ©cepteur, sale et mal vĂÂȘtu, qui les fouettera. Chapitre 6 Sa stupeur Ă l'arrivĂ©e de Julien, dont elle remarque la beautĂ©. M. de RĂÂȘnaltransmet au nouvel employĂ© ses instructions, et l'emmĂšne chez le tailleurpour lui acheter un habit noir il ne doit pas ĂÂȘtre vu en veste par lesautres domestiques. PrĂ©sentation de Julien aux enfants. Julien s'acquiertune gloire instantanĂ©e en rĂ©citant par coeur des pages entiĂšres du LivreSaint. Chapitre 7 Julien commence Ă s'attirer la jalousie des domestiques, mais aussi de directeur du dĂ©pĂÂŽt de mendicitĂ©, qui courtise Mme de pour lesquelles Mme de RĂÂȘnal commence Ă s'attacher Ă Julien inexpĂ©rience de la vie, due Ă son Ă©ducation de couvent. Comme la vie deprovince n'est pas guidĂ©e par les romans, tout y progresse plus vie de Julien se passe en petites nĂ©gociations, comme l'art de faireadmettre Ă M. de RĂÂȘnal de prendre un abonnement chez le librairie libĂ©ral,sous le nom d'un des domestiques. Ignorante de l'amour, Mme de RĂÂȘnal vitces moments heureux dans l'innocence. Chapitre 8 A la suite d'un hĂ©ritage, Elisa, la femme de chambre prĂ©tend Ă©pouserJulien, mais celui-ci fait savoir que ce mariage ne lui convient de l'abbĂ© ChĂ©lan, surpris d'un tel refus, et joie de Mme deRĂÂȘnal lorsqu'elle l'apprend. C'est alors qu'elle commence Ă s'interrogersur l'amour qu'elle pourrait bien porter Ă Julien. Avec les beaux jours, RĂÂȘnal transporte sa famille dans son chĂÂąteau de Vergy. On y fait lachasse aux papillons, et Mme de RĂÂȘnal se surprend Ă faire la coquette, sansy avoir pensĂ©. BientĂÂŽt, elle installe Ă Vergy sa cousine, Mme entraĂne les deux femmes vers les points de vue sublimes de larĂ©gion. Un soir, par hasard, il vient Ă toucher la main de Mme de RĂÂȘnal,qu'elle lui retire aussitĂÂŽt. Alors, Julien se fait un devoir de lareconquĂ©rir. Chapitre 9 Il aborde la situation comme une bataille Ă gagner. A dix heures sonnantes,il passe Ă l'acte, et se saisit de la main de Mme de RĂÂȘnal, qui en esttransportĂ©e. De maniĂšre inopinĂ©e, le lendemain, M. de RĂÂȘnal se prĂ©sente auchĂÂąteau. Il est venu faire remplacer les paillasses de la maison. Cettenouvelle effraie Julien qui a cachĂ© dans son lit un portrait de NapolĂ© supplie Mme de RĂÂȘnal de mettre ce portrait accusateur en sĂ»retĂ©, sans yjeter un regard. Elle s'exĂ©cute, non sans ressentir les premiĂšres atteintesde la jalousie. Chapitre 10 En froid avec M. de RĂÂȘnal, Julien sollicite un congĂ© pour se rendre auprĂšsde l'abbĂ© ChĂ©lan. Sur le chemin de VerriĂšres, Julien laisse aller sasensibilitĂ© devant les beautĂ©s de la nature, et donne libre cours Ă sesprojets de destinĂ©e ambitieuse. Chapitre 11 Julien se donne pour dĂ©fi de prendre la main de Mme RĂÂȘnal en prĂ©sence,cette fois, de son Ă©poux. C'est une autre victoire. Cependant sa vraiepassion est encore pour NapolĂ©on. De son cĂÂŽtĂ©, Mme de RĂÂȘnal commence Ă passer par des alternatives de passion naĂÂŻve et d'effroi moral devant cesentiment. Elle traverse une nuit de dĂ©lire. Chapitre 12 Au moment de partir pour rendre visite Ă son ami FouquĂ©, Julien est surprispar l'accueil glacial de Mme de RĂÂȘnal. Il dĂ©cide de rĂ©pliquer par lafroideur. Quand elle apprend le voyage de Julien, Mme de RĂÂȘnal, blessĂ©e, semet au lit. Cheminant dans la montagne, Julien s'arrĂÂȘte dans une grotte, ets'y livre au plaisir d'Ă©crire en libertĂ© ambitieuses rĂÂȘveries de vieparisienne. AprĂšs avoir brĂ»lĂ© ses Ă©crits, Julien arrive Ă une heure dumatin chez FouquĂ©, qui lui propose de devenir son associĂ© dans son commercede bois. Ayant Ă©valuĂ© la proposition durant la nuit, Julien la refuse,prenant prĂ©texte d'une irrĂ©sistible vocation religieuse. En fait, ilredoute que plusieurs annĂ©es de cette vie mercantile n'Ă©moussent sa volontĂ©de parvenir. Chapitre 13 De ce voyage, Julien revient mĂ»ri. Mme de RĂÂȘnal se fait coquette, et Ă cedĂ©tail, sa cousine, Mme Derville, comprend qu'elle est amoureuse. CommeJulien paraĂt se dĂ©tacher d'elle, Mme de RĂÂȘnal va jusqu'Ă reprendre la mainde Julien. Ce geste le persuade qu'il est aimĂ©. Il dĂ©cide de faire de Mmede RĂÂȘnal sa maĂtresse. Mais au lieu de rĂ©pondre spontanĂ©ment Ă la passionde Mme de RĂÂȘnal, il entreprend de la faire souffrir, par esprit de revanchesociale il lui laisse entendre qu'il devra quitter VerriĂšres, parce qu'ill'aime et que cette passion est incompatible avec l'Ă©tat de prĂÂȘtre. N'ayantpas connu l'Ă©ducation sentimentale procurĂ©e par la lecture des romans, Mmede RĂÂȘnal croit pouvoir se jurer qu'elle n'accordera rien Ă Julien. Chapitre 14 Avec gaucherie, Julien, qui se prend pour une Don Juan, s'efforce de mettreen pratique un plan de sĂ©duction, et parvient Ă enlever un baiser Ă Mme deRĂÂȘnal, mais celle-ci en est effrayĂ©e. En prĂ©sence du sous-prĂ©fet Maugiron,Julien presse le pied de Mme de RĂÂȘnal, qui parvientĂ tromper l'attention enlaissant tomber ses ciseaux. A VerriĂšres, l'abbĂ© ChĂ©lan dĂ©mĂ©nage il vientd'ĂÂȘtre destituĂ© et remplacĂ© par l'abbĂ© Maslon. FĂÂąchĂ© par cette injusticeau sein de l'Eglise, et par prudence, Julien Ă©crit Ă FouquĂ© pour se mĂ©nagerla possibilitĂ© de revenir au commerce. Chapitre 15Julien somme Mme de RĂÂȘnal de le recevoir dans sa chambre Ă deux heures dumatin - mais il tremble qu'elle accepte. Le moment venu, il s'y rend, ense demandant ce qu'il pourra bien y faire. En y entrant, il se jette Ă sespieds et fond en larmes. Sa maladresse l'aide Ă triompher des rĂ©serves deMme de RĂÂȘnal, mais il ne sait pas goĂ»ter simplement le bonheur qui seprĂ©sente il continue de se contraindre Ă jouer le rĂÂŽle du sĂ©ducteur. Mmede RĂÂȘnal, quant Ă elle, vit l'Ă©vĂ©nement avec un dĂ©chirement moral. Chapitre 16 Le lendemain, en sociĂ©tĂ©, Julien est la prudence mĂÂȘme, mais sa froideuralarme Mme de RĂÂȘnal. Elle craint d'avoir dĂ©couragĂ© le jeune homme derevenir dans sa chambre. Ce second soir, il commence Ă s'apercevoir descharmes de Mme de RĂÂȘnal, et Ă cĂ©der au plaisir d'aimer. En dĂ©pit de ladiffĂ©rence d'age qui inquiĂšte Mme de RĂÂȘnal, Julien, en peu de jours, tombecomplĂštement amoureux. De son cĂÂŽtĂ©, sa maĂtresse s'Ă©merveille d'unsentiment qu'elle n'a jamais soupçonnĂ© auparavant. Elle imagine la vied'Ă©pouse qu'elle eĂ»t pu vivre Ă ses cĂÂŽtĂ©s. Julien est tentĂ© de lui avoueren confiance l'ambition de sa vie. Chapitre 17 Julien regrette NapolĂ©on, qui permit Ă la jeunesse pauvre de s'Ă©lever. Desremarques de Mme De RĂÂȘnal, il reçoit une premiĂšre Ă©ducation sur la sociĂ©tĂ© intrigues pour la nomination du premier adjoint de VerriĂšres ; rĂ©unionsde la Loge maçonnique. Mme de RĂÂȘnal ne se lasse pas d'admirer l'avenirqu'elle entrevoit pour Julien. Chapitre 18 On apprend inopinĂ©ment la venue d'un roi Ă VerriĂšres. AussitĂÂŽt la petiteville, en Ă©bullition, se prĂ©pare Ă un dĂ©filĂ© militaire. Julien s'imagineque Mme de RĂÂȘnal, toute occupĂ©e de prĂ©paratifs vaniteux, ne songe plus Ă l'aimer. Il la surprend sortant de sa chambre et emportant un des sesvĂÂȘtements. C'est qu'elle a le projet fou de le faire nommer dans la garded'honneur et de lui faire tailler un uniforme neuf. Cependant, M. de RĂÂȘnalcontraint le nouveau curĂ© Ă accepter que figure l'abbĂ© ChĂ©lan dans lecortĂšge. Il est en effet l'ami de M. de la Mole, le ministre, quiaccompagnera le roi. Et son tempĂ©rament satirique serait capabled'infliger un soufflet Ă l'administration municipale, s'il ne rencontraitpas l'abbĂ© ChĂ©lan. Lors de la cĂ©rĂ©monie, la prĂ©sence de Julien parmi lesgardes fait sensation et suscite l'indignation. Julien, lui, est au comblede la joie ; il se prend pour un officier de NapolĂ©on. En peu de temps,Julien court se changer pour revĂÂȘtir l'habit ecclĂ©siastique, afin de setrouver Ă la cĂ©rĂ©monie de vĂ©nĂ©ration des reliques de Saint ClĂ©ment. LĂ , leclergĂ© rĂ©uni attend l'Ă©vĂÂȘque d'Agde qui doit montrer les reliques au ChĂ©lan, en tant que doyen, est dĂ©pĂÂȘchĂ© pour le chercher ; Julienl'accompagne. Errant dans l'antique abbaye, Julien parvient dans une salleoĂÂč le jeune Ă©vĂÂȘque, placĂ© devant un miroir, s'exerce aux bĂ©nĂ© se propose d'aller chercher sa mitre, qui a souffert du par les maniĂšres charmantes de l'Ă©vĂÂȘque, Julien l'accompagne lorsde la cĂ©rĂ©monie, qu'il trouve magnifique. Son ambition ecclĂ©siastique s'entrouve ravivĂ©e. Pour la premiĂšre fois, Julien aperçoit fugitivement M. dela Mole. Plus tard, il accompagne l'abbĂ© ChĂ©lan jusqu'Ă la chapelleardente. Splendeur Ă©blouissante de la mise en scĂšne, et exhortationrhĂ©torique de l'Ă©vĂÂȘque aux jeunes filles dans l'assistance. Chapitre 19 Ce qui surnage de cette fĂÂȘte, c'est l'indignation contre Julien, et contreMme de RĂÂȘnal, qu'on suspecte d'avoir favorisĂ© l'Ă©pisode de l'habitmilitaire. A peu de temps de lĂ , le fils de Mme de RĂÂȘnal tombe malade, etcette maladie suscite les remords de sa mĂšre, dĂ©sormais consciente de safaute. Elle demande Ă Julien de fuir cette maison, rendant sa prĂ©senceresponsable de son malheur familial. Un jour que l'enfant estau plus mal,Mme de RĂÂȘnal se jette aux pieds de son mari, sur le point de lui avouer saliaison. Mme de RĂÂȘnal est alors prĂÂȘte Ă une humiliation publique poursauver son fils. Julien parvient Ă la dissuader d'une telle dĂ©marche. Ilpropose de faire lui-mĂÂȘme retraite Ă l'abbaye ; au bout de deux jours, ilest rappelĂ©. Stanislas guĂ©rit, mais les remords restent. Julien tombe alorsdans toutes les folies de l'amour. Cependant, Elisa, la femme de chambre,rĂ©vĂšle Ă Valenod la liaison de sa maĂtresse, et le lendemain, une lettreanonyme en avertit M. de RĂÂȘnal. Chapitre 20Pour l'entretenir de cette lettre anonyme, Mme de RĂÂȘnal tente de se rendre,de nuit, Ă la chambre de Julien. Mais celui-ci croit prudent de la luirefuser. AussitĂÂŽt, Mme de RĂÂȘnal lui Ă©crit une lettre, oĂÂč elle expose unplan de dĂ©fense contre la lettre anonyme elle demande Ă Julien d'enĂ©crire une Ă son Ă©poux, dont elle dicte les termes. Julien se retirera Ă VerriĂšres, courtisera la bonne sociĂ©tĂ© et fera croire que Valenod est surle point de l'engager, comme prĂ©cepteur de ses propres enfants. M. de RĂÂȘnalne devrait pas supporter cette perspective, ce qui ferait revenir Julien Ă Vergy, maison de campagne des RĂÂȘnal. Chapitre 21Crise intĂ©rieure de M. de RĂÂȘnal, qui passe la nuit dans les incertitudes,et dĂ©libĂšre sur la conduite Ă tenir. Il pense dresser un piĂšge pours'assurer de la vĂ©ridicitĂ© des faits. Mais, au retour de la messe, sonĂ©pouse lui remet la lettre anonyme confectionnĂ©e par Julien, et parvient Ă dĂ©tourner ses soupçons sur Valenod, dont elle le pousse Ă lire les lettresĂ elle adressĂ©es dans le passĂ©. Dans sa hĂÂąte Ă se les procurer, M. de RĂÂȘnalva jusqu'Ă briser le secrĂ©taire de sa femme. A la fin, Mme de RĂÂȘnal obtientla rĂ©alisation de son plan Julien se voit accorder un congĂ© de quinzejours Ă VerriĂšres. Chapitre 22 A VerriĂšres, Julien reçoit la visite du sous-prĂ©fet Maugiron, qui luipropose un poste de prĂ©cepteur Ă 800 F. Julien s'empresse de demanderconseil Ă M. de RĂÂȘnal et fait confidence de la proposition Ă M. Ă dĂ©jeuner chez Valenod, avec quelques notables libĂ©raux, on luidemande une dĂ©monstration de son savoir rĂ©citer par coeur la Bible enlatin, ce qui provoque l'admiration de l'assistance. AprĂšs s'ĂÂȘtre retirĂ©,Julien exprime son mĂ©pris des gens vulgaires, et manifeste des affinitĂ©savec le mode de vie aristocratique des RĂÂȘnal. Un jour, Mme de RĂÂȘnal lesurprend Ă VerriĂšres oĂÂč elle est venue pour des courses. Moments charmants,interrompus par l'air soupçonneux du mari. Analyse de la situationpolitique de Valenod et de ses intrigues locales. Chapitre 23Affaire de l'adjudication de la maison de VerriĂšres, qui Ă©chappe aux visĂ©esdu maire. Julien, qui assistait Ă l'adjudication, se fait traiter d'espionde M. de RĂÂȘnal. Le soir, survient le chanteur Geronimo, qui dĂ©ridel'atmosphĂšre. Il raconte son histoire par quelle tromperie, il s'est faitchasser du conservatoire de Naples, pour se faire engager comme chanteur auSan Carlino. Mme de RĂÂȘnal se laisse aller Ă rĂÂȘver une vie conjugale avecJulien, si elle se trouvait veuve de M. de RĂÂȘnal. Cependant toute la villes'entretient de ses amours avec Julien. La servante Elisa, ayant faitconnaĂtre en confession Ă l'abbĂ© ChĂ©lan les amours de Julien, l'abbĂ© exigeque celui-ci quitte VerriĂšres pour le sĂ©minaire. Afin d'apaiser l'amertumede sa maĂtresse, Julien lui promet de revenir la voir rĂ©guliĂšrement. QuantĂ M. de RĂÂȘnal, il envisage un duel avec Valenod, mais son Ă©pouse l'endissuade et lui fait accepter l'idĂ©e que Julien entre au sĂ© lettre anonyme, qui pousse RĂÂȘnal Ă acheter des pistolets pour unduel. De nouveau, son Ă©pouse l'en dissuade et convainc M. De RĂÂȘnald'accorder Ă Julien les 600 F de sa pension au sĂ©minaire. Le jeune hommen'accepte qu'Ă grand peine, considĂ©rant cette somme comme un prĂÂȘtremboursable. Trois jours aprĂšs son dĂ©part pour Besançon, Julien revient,de nuit, visiter Mme de RĂÂȘnal. Mais celle-ci, persuadĂ©e qu'il s'agit deleur derniĂšre rencontre, reste d'une froideur de glace. Chapitre 24A Besançon, Julien fait d'abord le tour de sa citadelle, pour flatter sesambitions militaires, puis entre dans un cafĂ© oĂÂč l'on joue au billard, etentame la conversation avec la jeune dame de comptoir Amanda regarde de travers un homme qui vient d'entrer, qu'Amanda prĂ©sentecomme son beau-frĂšre, et qui est sans doute son amant ; il envisage unduel. Amanda parvient Ă le faire quitter les lieux. Avant d'entrer ausĂ©minaire, Julien prend la prĂ©caution de dĂ©poser ses vĂÂȘtements bourgeoisdans une auberge. Chapitre 25ArrivĂ© au sĂ©minaire, Julien est introduit dans le bureau de l'abbĂ© Pirard,son directeur. AtterrĂ© par l'atmosphĂšre du lieu, il se trouve mal. Revenu Ă lui, il peut s'entretenir avec l'abbĂ©, qui lit une lettre de recommandationrĂ©digĂ©e par l'abbĂ© ChĂ©lan. Suit une conversation en latin, durant laquellel'abbĂ© Pirard sonde l'Ă©ducation thĂ©ologique du jeune homme. AprĂšs troisheures d'entretien, Julien est conduit Ă sa chambre, dont la vue donne surla campagne. Chapitre 26 Julien se choisit pour confesseur l'abbĂ© Pirard - une Ă© des autres sĂ©minaristes. L'abbĂ© Pirard intercepte des lettresd'amour adressĂ©es, de Dijon, Ă Julien. Visite de FouquĂ©, qui apprend queMme de RĂÂȘnal a sombrĂ© dans la dĂ©votion. Julien ne tarde pas Ă s'apercevoirque sa conduite, son ardeur Ă l'Ă©tude, lui ont aliĂ©nĂ© la sympathie de sescondisciples. Pour la regagner, il s'efforce Ă l'hypocrisie et Ă lamĂ©diocritĂ© dĂ©vote. Mais comme il ne se rĂ©jouit pas de la choucroute qui estservie, il se fait mĂ©priser. Un jour, il est convoquĂ© dans le bureau del'abbĂ© Pirard, pour rĂ©pondre d'une dĂ©lation on a trouvĂ© dans sa malle unecarte oĂÂč sont portĂ©es des indications relatives Ă Amanda Binet. Chapitre 27 Les malheurs de Julien en butte Ă l'incomprĂ©hension de ses collĂšgues,occupĂ©s de cures avantageuses, et jaloux de sa supĂ©rioritĂ© intellectuelle. Chapitre 28 Julien est mandĂ© Ă la cathĂ©drale pour prĂ©parer les tentures de laFĂÂȘte-Dieu. De ce labeur, il s'acquitte avec maestria, suscitant lareconnaissance de l'abbĂ© Chas. Julien participe avec exaltation Ă laprocession. Tandis qu'il garde une partie dĂ©sertĂ©e de l'Ă©difice, ilremarque deux dames prĂšs d'un confessionnal. L'une d'elle est Mme de RĂÂȘnal,qui s'Ă©vanouit Ă sa vue. Chapitre 29L'abbĂ© Pirard fait appeler Julien. C'est pour lui accorder un privilĂšge il le fait rĂ©pĂ©titeur pour le Nouveau et l'Ancien Testament, et lui rĂ©vĂšlecombien il tient Ă lui. S'ensuit un moment d'Ă©motion sincĂšre. Mais auxexamens, Julien est victime d'un piĂšge du grand vicaire de Frilaire, qui lefait trop parler sur Horace, un auteur profane! Un jour Julien reçoit unelettre de Paris qui lui envoie une somme d'argent, et lui demande decontinuer ses Ă©tudes brillantes. Explication M. de la Mole, encorrespondance avec Pirard sur certaine affaire, cherche Ă le remercier desservices rendus. Il lui propose, par une lettre, de s'installer Ă Paris, oĂÂčil lui trouvera une cure tranquille. Pirard rĂ©dige sa lettre de dĂ©missiondu sĂ©minaire Ă l'adresse de l'Ă©vĂÂȘque, et envoie Julien la porter. Celui-ci,Ă©mu de ce dĂ©part, met Ă sa disposition ses 600 F d'Ă©conomie. A l'Ă©vĂÂȘchĂ©,Julien s'entretient avec l'Ă©vĂÂȘque, qui, charmĂ© de sa connaissance despoĂštes latins, lui fait cadeau des oeuvres de Tacite. L'abbĂ© Pirard netarde pas Ă quitter Besançon, nommĂ© Ă une cure magnifique dans les environsde Paris. Chapitre 30A Paris, le marquis de La Mole propose Ă l'abbĂ© Pirard de devenir sonsecrĂ©taire, richement appointĂ©, et de s'occuper de ses procĂšs enFranche-ComtĂ©. DĂ©clinant cette offre, l'abbĂ© propose les services deJulien, qui reçoit une lettre le convoquant Ă Paris, avec les fondsnĂ©cessaires Ă son dĂ©placement. Avant de quitter la Franche-ComtĂ©, Julien serend chez FouquĂ©, qui ne se montre pas enthousiaste de cette promotion, etrencontre l'abbĂ© ChĂ©lan, qui lui intime l'ordre de quitter VerriĂšres sansrevoir personne. Mais Julien renvoie son cheval et, au prix d'une audacefolle, escaladant la façade du chĂÂąteau par une Ă©chelle jusqu'Ă parvenir Ă la chambre de Mme de RĂÂȘnal. Celle-ci commence par lerepousser, lui racontece qu'a Ă©tĂ© sa vie, puis Julien, Ă son tour, fait le rĂ©cit des tracasseriesauxquelles il a Ă©tĂ© en butte au sĂ©minaire. Le ton de l'intimitĂ© se rĂ©tablitentre eux. AprĂšs trois heures d'entretien, Mme de RĂÂȘnal finit par cĂ©der auxinstances de Julien, lui propose mĂÂȘme de rester une journĂ©e de plus auprĂšsd'elle, cachĂ© dans sa chambre. Mme de RĂÂȘnal se charge de faire disparaĂtrel'Ă©chelle, qu'un domestique ira cacher dans le grenier. Julien passe ainsila journĂ©e enfermĂ© dans la chambre de Mme Derville. Le soir, ils dĂnentensemble dans la chambre de Mme de RĂÂȘnal, lorsque surgit l'Ă©poux. Julien sedissimule sous le canapĂ©, de sorte que M. de RĂÂȘnal ne s'aperçoit pas de saprĂ©sence. Mais, dans la nuit, Ă nouveau M. de RĂÂȘnal tambourine Ă la portede sa femme il craint un voleur, aprĂšs la dĂ©couverte de l'Ă©chelle. Juliensaute par la fenĂÂȘtre, et parvient Ă s'enfuir, tandis que les ballessifflent Ă ses oreilles. LIVRE SECOND Chapitre 1Dans la malle-poste vers Partis, conversation entre Falcoz et Saint-Giraud,lequel fuit les tracasseries politiques de la province, et clame sonanimositĂ© Ă l'Ă©gard de Bonaparte, qu'il juge responsable du rĂ©tablissementdes anciennes hiĂ©rarchies sociales. Julien, quant Ă lui, dĂšs son arrivĂ©e Ă Paris, et pour satisfaire Ă sa passion bonapartiste, se rend en pĂšlerinageĂ la Malmaison. Plus tard, il revoit l'abbĂ© Pirard, qui l'informe du modede vie qui sera le sien chez le marquis de La Mole, et fait son instructionmorale relativement Ă la vie parisienne. Eblouissement de Julien Ă sonarrivĂ©e Ă l'hĂÂŽtel de La Mole. Chapitre 2 Premier et bref entretien de Julien avec le marquis. L'habit Pirard lequitte en le laissant aux soins du tailleur qui lui confectionnera unhabit. Lors de son premier dĂner, Julien parvient Ă se faire remarquer parsa culture et son Ă -propos. Chapitre 3Prise de contact avec les enfants de la famille Norbert et Mathilde. Ilse fait remarquer d'une autre maniĂšre en tombant de cheval! Mais lelendemain, crĂÂąnement, il remonte et parvient Ă effectuer la sortie sansincident. Chapitre 4AtmosphĂšre du salon de l'hĂÂŽtel de La Mole magnificence et des dialogues de moquerie lĂ©gĂšre qui s'y entendent. Chapitre 5Julien capte la confiance du marquis qui, de plus en plus, lui confie sesaffaires Ă©pineuses Ă dĂ©brouiller. Cependant, Julien se sent tenu Ă l'Ă©cartet Ă©prouve un sentiment de solitude. Chapitre 6 Un jour, il s'estime injuriĂ© par un certain regard jetĂ© dans un cafĂ©, etprovoque le personnage en duel. Mais le lendemain, lorsqu'il se rend audomicile indiquĂ©, il ne trouve qu'un dandy, qui n'est pas son personnage ;le duel ne peut donc avoir lieu. A la sortie, Julien reconnaĂt sonagresseur, qui n'est autre que le cocher de la maison. Du coup, son maĂtreconsent au duel, dans lequel Julien est lĂ©gĂšrement blessĂ©. Pour ne pasavoir l'air de s'ĂÂȘtre battu avec un homme de rien, son adversaire faitcourir le bruit que Julien est le fils naturel du marquis de La Mole. A peude temps de lĂ , ce dernier consent Ă cette fable, qui peut lui ĂÂȘtre utile Ă l'avenir, et invite Julien Ă se frotter davantage au beau monde. Chapitre 7 Le marquis envoie Julien en Angleterre, pour qu'il y frĂ©quente l'ambassadede France. Au retour, il lui remet une dĂ©coration. Valenod, devenu maire deVerriĂšres, en remplacement de M. de RĂÂȘnal, vient Ă Paris et se faitprĂ©senter au marquis de La Mole. A cette occasion, Julien rĂ©clame la placede directeur du dĂ©pĂÂŽt de mendicitĂ© de VerriĂšres pour son pĂšre. Il prendconscience des compromissions dans lesquelles il lui faut entrer. Chapitre 8 Julien transformĂ© en dandy voit arriver Mme de La Mole et sa fille, retourd'HyĂšres. Mlle de la Mole lui demande d'assister avec son frĂšre Norbert auprochain bal de M. de Retz. Magnificence de cet hĂÂŽtel, et de la fĂÂȘte quis'y tient. Julien capte quelques Ă©chantillons de conversation sur la beautĂ©des jeunes femmes prĂ©sentes, dont Mathilde est la reine. Elle fait assautd'Ă©rudition avec Julien, et, Ă propos du comte Altamira, conspirateurlibĂ©ral, fait rĂ©flexion que la peine de mort est la seule grandeur qui nes'achĂšte pas. Cependant, Julien procĂšde Ă une Ă©valuation du personnage deMathilde, contre laquelle il Ă©tait fĂÂąchĂ© depuis l'ordre intimĂ© d'aller aubal. L'entretien avec Altamira déçoit Mathilde. Elle ne cesse de fairerĂ©flexion sur l'existence d'ennui qui l'attend avec le convenable etconventionnel marquis de Croisenois, qu'elle doit Ă©pouser. Chapitre 9Au bal, Mathilde se dĂ©sennuie de ces mondanitĂ©s en prĂÂȘtant attention auxpropos de Julien, qu'elle entend parler de Danton avec Altamira, qui sesait menacĂ© d'extradition et de pendaison dans son pays. Propos de cynismepolitique d'Altamira. Les deux hommes ignorent les rĂ©actions de Mathildequi s'efforce de s'insinuer dans la conversation. RĂ©flexions d'Altamira surles salons parisiens l'esprit y fait dĂ©faut; on l'emprisonne; et lavanitĂ© y rĂšgne. En plĂ©bĂ©ien rĂ©voltĂ©, Julien mĂ©dite sur Marino Faliero uneconspiration a pour effet d'effacer les diffĂ©rences de classe. Il passe lanuit Ă lire l'histoire de la RĂ©volution. Le lendemain, s'Ă©tant prĂ©sentĂ©e Ă la bibliothĂšque, Mathilde parvient Ă peine Ă se faire remarquer de Julien,qui finit par dĂ©voiler ses pensĂ©es rĂ©volutionnaires et s'interroger surl'opportunitĂ© de la violence dans les rĂ©volutions. Chapitre 10 En la comparant avec l'affectation de Mathilde, Julien se souvient avecnostalgie du naturel des sentiments vrais dont faisait preuve Mme de RĂÂȘnalĂ son Ă©gard. AprĂšs un dĂner oĂÂč il a vu Mathilde en habit de deuil, Juliense fait expliquer par un acadĂ©micien familier de la maison les raisons dece rite il commĂ©more de la dĂ©capitation en place de grĂšve d'un des aĂÂŻeuxde La Mole, en 1574. Peu Ă peu Julien s'efforce de sortir de son rĂÂŽle deconfident passif. Mathilde affectionne les temps hĂ©roĂÂŻques de la Ligue. PeuĂ peu, Julien se dĂ©partit de sa rĂ©serve blessĂ©e d'homme pauvre, et entredans le ton des confidences. Il surprend en Mathilde un air doux Ă sonĂ©gard. Incertitudes de Julien quant aux dispositions amoureuses de la jeunefemme Ă son encontre l'aime-t-elle vraiment ? Chapitre 11Ironies de Mathilde face Ă ses prĂ©tendants insipides. Face Ă l'ennui qu'ilslui inspirent, elle prend de l'intĂ©rĂÂȘt dans la compagnie de Julien. C'est Ă ce moment que Mathilde dĂ©cide qu'elle l'aimera. Chapitre 12SpĂ©culations de la jeune femme sur cette liaison hĂ©roĂÂŻsme solitaire dujeune homme pauvre. Son frĂšre l'avertit qu'en cas de rĂ©volution, il lesguillotinera tous. Mathilde fait la comparaison entre les jeunes gensconvenables de son monde, et l'Ă©nergie de Julien. Avantage Ă les jeunes aristocrates se liguent pour contrebattre la bonneopinion que Mathilde a de cet intrus. Mais elle les couvre de sarcasmes ;leur confusion. A son tour, Mathilde se demande si Julien voit en elle uneamie, ou bien s'il est question d'amour. Ce sujet de prĂ©occupation chasseen elle tout ennui. Quant Ă elle, elle dĂ©cide de se livrer Ă une grandepassion. Chapitre lendemain, Julien a le soupçon qu'on veuille se moquer de lui. Mais ils'aperçoit que Mathilde partage avec lui des comportements d'hypocrisie elle lit, comme lui, Voltaire en cachette, et dĂ©tourne les mĂ©moireshostiles Ă la politique du trĂÂŽne et de l'autel que fait acheter secrĂštementson pĂšre. Il la voit comme un Machiavel, l'accomplissement de lascĂ©lĂ©ratesse parisienne. Cependant, incertain quant au sort qu'on luirĂ©serve, Julien prend le parti de quitter la place pour un voyage enLanguedoc. Mathilde parvient Ă lui faire diffĂ©rer son dĂ©part. D'elle, ilreçoit une lettre, qui est une dĂ©claration d'amour. RĂ©action orgueilleusede Julien. Un moment de vertu est vite balayĂ© par la haine de classe sonmĂ©rite l'emporte sur celui d'un Croisenois! Par prĂ©caution Julien envoie lalettre de Mathilde Ă son ami FouquĂ©, dissimulĂ©e dans une Bible. C'est dansl'ivresse qu'il rĂ©pond Ă la jeune femme. Chapitre 14 PĂ©riode d'hĂ©sitations et de doutes de Mathilde quant Ă son amour pourJulien. ConsidĂ©rations sur le courage relatif des hommes d'aujourd'hui parrapport Ă celui des hommes du XVIe siĂšcle. Elle se souvient avec inquiĂ©tudedu temps oĂÂč elle se permettait la hardiesse d'Ă©crire aux jeunes gens Ă lamode. Mathilde mesure l'Ă©normitĂ© de son audace au cas oĂÂč Julien seservirait de la prise qu'elle lui donnait sur elle. Le lendemain matin,Julien remet sa rĂ©ponse. Pour lui, un bataille se prĂ©pare, contre l'orgueilde la naissance, et il se reproche de n'ĂÂȘtre point parti. Nouvel Ă©change delettres entre les jeunes gens. Puis un troisiĂšme, et cette fois, Mathildedemande Ă Julien de la rejoindre dans sa chambre, la nuit, au moyen d'uneĂ©chelle. Chapitre 15 Julien mesure l'imprudence ; il croit Ă un piĂšge, dĂ©cide de ne pas mĂÂȘmerĂ©pondre, et de partir en voyage. Mais bientĂÂŽt il balance entre la prudenceet l'audace, et place les lettres de Mathilde en lieu sĂ»r, car ses ennemispourraient tenter de les rĂ©cupĂ©rer sur lui, en cas d'attaque. En attendantle moment d'agir, il rĂ©dige un petit mĂ©moire justificatif de sa conduite,au cas oĂÂč il lui arriverait malheur dans l'Ă©vĂ©nement, et l'expĂ©die Ă FouquĂ©, avec ordre de le publier en cas d'accident. Au dĂner qui prĂ©cĂšde,Julien s'avoue qu'il a peur de ce qui peut advenir. Plus tard, il vĂ©rifiel'Ă©chelle, et fait la comparaison avec l'Ă©pisode semblable de VerriĂšres Ă ce moment-lĂ , il Ă©tait sĂ»r des intentions de Mme de RĂÂȘnal. Chapitre 16 Julien se prĂ©pare Ă son entreprise nocturne, et prend soin d'observer lecomportement des domestiques, qui pourraient tomber sur lui. Leurcomportement festin le rassure. NĂ©anmoins, il a peur. A une heure du matin,par l'Ă©chelle, il accĂšde Ă la chambre de Mathilde, qui l'attendait. Ellecommence par se refuser Ă ses avances, et lui demande de renvoyer l'Ă©chelleau moyen d'une corde, pour ne pas casser les vitres des salons encontrebas. Grand embarras pour tous deux. Mathilde rĂ©clame ses lettres ;Julien dĂ©taille les prĂ©cautions qu'il a prises. RĂ©action enflammĂ©e deMathilde, qui ne se refuse plus qu'Ă demi. Nul bonheur amoureux pour Juliendans cette situation, rien que des satisfactions d'ambitieux, de voir plierune fille de haute naissance. De son cĂÂŽtĂ©, Mathilde commence Ă sentir lafolie qu'elle a faite, qui la livre Ă Julien, et elle en souffreintĂ©rieurement. C'est par devoir, et non par tendresse, que Mathildedevient enfin sa maĂtresse, mais plus par un acte volontaire que par Ă©lanvĂ©ritable. Nuit plus singuliĂšre qu'exaltante pour Julien. A la fin,Mathilde en est encore Ă se demander si elle l'aime. Chapitre 17 Les jours suivants, elle affecte la plus grande froideur. Julien se perd enconjecture sur les motifs de cette conduite. En fait, Mathilde est en proieaux fureurs de la vanitĂ© elle s'est donnĂ©e un maĂtre ; Julien est lepremier amour de sa vie. Au bout de quelque temps, leur dialogue tourne Ă la haine et au dĂ©pit. A partir du moment oĂÂč Julien se voit brouillĂ©dĂ©finitivement avec Mathilde, il se met Ă l'aimer passionnĂ©ment. Sur lepoint de partir pour le Midi, il la rencontre dans la bibliothĂšque. Sur unmot insolent, Julien, dans sa colĂšre, s'essaie Ă la tuer. Mathilde sortbouleversĂ©e de la scĂšne. Lorsqu'il annonce son intention de partir pour leLanguedoc, M. de La Mole s'y refuse, car il rĂ©serve Ă Julien d'autresfonctions. DĂ©sarroi de Julien. Chapitre 18 Cherchant Ă renouer avec Julien, Mathilde l'entraĂne dans le jardin etprend le ton des confidences intimes, relatant ses anciennes vellĂ©itĂ©sd'amour pour les jeunes gens de son monde, ce qui suscite la jalousie deJulien. C'est en constatant les faiblesses de son partenaire que Mathildes'autorise Ă l'aimer. Julien n'a pas lu de romans, et n'a donc pasl'expĂ©rience du sentiment. Il a la maladresse de rĂ©vĂ©ler qu'il aime, et, ducoup, Mathilde le mĂ©prise et prend ses distances. Julien, malheureux, lafuit, mais ne cesse de penser Ă elle, connaĂt des distractions dans sontravail. Cependant Mathilde mĂ©dite sur la fortune qu'elle pourrait apporterĂ Julien. Chapitre 19 Cependant un travail intĂ©rieur, en faveur de Julien, se produit enMathilde. En cas de nouvelle rĂ©volution, elle s'envisage comme une autreMme Roland. En dessinant, par hasard, elle s'aperçoit qu'elle tracespontanĂ©ment le portrait de Julien. A l'OpĂ©ra oĂÂč l'a entraĂnĂ©e sa mĂšre,Mathilde est frappĂ©e par une cantilĂšne d'amour, qu'elle applique Ă saposition. Dans son Ă©motion, elle connaĂt un moment d'amour vrai, et nonplus d'amour de tĂÂȘte. Intervention de Stendhal pour protester contrel'accusation d'immoralitĂ© de son hĂ©roĂÂŻne le roman est un miroir qu'onpromĂšne le long d'un chemin. Julien, quant Ă lui, traverse une phaseĂ renversĂ©e Ă», dĂ©nigrant ses qualitĂ©s Ă ses propres yeux. Il va jusqu'Ă songer au suicide. Mais la nuit, cĂ©dant Ă une inspiration irrĂ©sistible, ilrenouvelle la scĂšne de l'Ă©chelle, frappe Ă la fenĂÂȘtre de Mathilde, et sefait ouvrir. Moments de fĂ©licitĂ© et d'Ă©garement Mathilde se proclame laservante de Julien. Lorsque son amant se retire Ă l'aube, en replaçantl'Ă©chelle, Mathilde lui jette par la fenĂÂȘtre une moitiĂ© de ses cheveuxqu'elle vient de couper, en signe de soumission Ă son maĂtre. Mais lelendemain, Julien a la surprise de constater un retournement d'attitude Mathilde ne le juge pas suffisamment exceptionnel pour justifier les foliesqu'elle a faites en sa faveur. DĂ©sespoir de Julien. Chapitre 20 Le lendemain, le jeune homme se sent en disgrĂÂące dans le salon, tandis queMathilde a repris ses grĂÂąces auprĂšs des jeunes aristocrates. Mal Ă l'aise,Julien quitte les lieux. Enfin Mathilde l'aborde, c'est pour lui direqu'elle ne l'aime plus! Dans une scĂšne de rupture, la jeune femme s'emportecontre lui, de la maniĂšre la plus haineuse, ivre d'avoir rĂ©cupĂ©rĂ© lamaĂtrise de soi. Un autre jour, par inadvertance, Julien casse un vase duJapon ainsi fait-il de son amour pour Mathilde. En fait, sa passioncontrariĂ©e ne fait que croĂtre. Chapitre 21 Le marquis lui laisse entendre qu'il va l'envoyer en ambassade pourrapporter des propos appris par coeur lors d'une rĂ©union secrĂšte, qui tientde la conspiration aristocratique. DĂ©part du marquis et de Julien pourcette rĂ©union. Mise en place des conspirateurs. Chapitre 22 Julien Ă la sĂ©ance de conspiration. Digression de Stendhal sur la politiquedans le roman. Dans son intervention, M. de La Mole demande Ă sespartenaires qu'il sacrifient le cinquiĂšme de leurs revenus pour lever unemilice destinĂ©e Ă appuyer une intervention Ă©trangĂšre, afin de sauver lamonarchie. Chapitre 23 Suite de la discussion politique il faut l'argent de l'Angleterre et unparti armĂ© en France pour que se produise une intervention Ă©trangĂšre afinde rĂ©tablir la monarchie d'Ancien RĂ©gime. Le poids du clergĂ© sera capitalpour dominer le peuple. Intervention de M. de Nerval, premier ministre enfonction, sollicitĂ© de quitter son poste, et qui dĂ©fend ses intĂ©rĂÂȘtspersonnels. Propos exaltĂ©s du jeune Ă©vĂÂȘque d'Agde c'est de Paris qu'estvenu tout le mal ; il faut le dĂ©truire. Le lendemain, dĂ©part de Julien pourl'Ă©tranger. Sa nuit passĂ©e dans une auberge. Il y retrouve Geronimo, ets'aperçoit qu'on veut bloquer leur progression en cachant les chevaux deposte dont ils ont besoin. On les drogue pour les faire dormir. La nuit,deux hommes, dont un prĂÂȘtre l'abbĂ© CastanĂšde, chef de la police de lacongrĂ©gation sur la frontiĂšre du Nord , pĂ©nĂštrent dans sa chambre etfouillent sa malle, sans trouver aucun papier compromettant. Cependant,Julien rĂ©ussit Ă gagner sa destination auprĂšs d'un duc allemand, et aprĂšsavoir accompli sa mission, reçoit ordre de sĂ©journer en attente dix jours Ă Strasbourg. Chapitre 24 Pendant son sĂ©jour dans cette ville, Julien ne cesse de penser Ă solitude du voyageur augmente ses idĂ©es noires. Se promenant Ă cheval,prĂšs de Kehl, sur le thĂ©ĂÂątre des opĂ©rations napolĂ©oniennes, il rencontre leprince Korasoff, qui lui fait le rĂ©cit, trĂšs approximatif, du siĂšge de1796. Julien est rempli d'une admiration stupide pour cet homme prince s'Ă©tant informĂ© de sa tristesse, Julien lui fait confidence deses peines d'amour. Et celui-ci prodigue des conseils de sĂ©ductiontactique de la diversion pour parvenir Ă attirer l'attention de la femmeaimĂ©e. Il lui remet copie de 53 lettres d'amour toutes faites. Le princefinit par lui proposer d'Ă©pouser sa cousine en Russie, proposition parlaquelle Julien est un instant tentĂ©. Mais revenu Ă Paris, aprĂšs samission, il dĂ©cide de mettre en application les prĂ©ceptes de Korasoff, etde feindre de faire la cour Ă Mme de Fervaques. Chapitre 25 De retour Ă Paris, il fait confidence de cet amour supposĂ© Ă Altamira. Pourlui ĂÂȘtre utile, celui-ci le conduit auprĂšs de don Diego Bustos, qui fit envain la cour Ă cette dame. Ses avis la question est de savoir s'il s'agitd'une prude, lasse de sa position. Au dĂner, Julien revoit Mathilde, qui nel'attendait point. Dans l'intervalle, elle l'a d'ailleurs presque oubliĂ©.Julien commence donc sa cour auprĂšs de Mme de Fervaques. A ce moment,Mathilde prend conscience que Julien est bien le mari qu'il lui faut. Lemarquis La Mole sera prochainement ministre, ce qui voudrait dire unĂ©vĂÂȘchĂ© pour Julien. Chapitre 26 Portrait moral de Mme de Fervaques le calme patricien. ConformĂ©ment auxprĂ©ceptes du manuel Ă©pistolaire de Korasoff, Julien, aprĂšs huit jours decour Ă la marĂ©chale de Fervaques, lui fait parvenir la premiĂšre lettrecopiĂ©e. RĂ©actions favorables de l'intĂ©ressĂ©e. Chapitre 27 Pendant une quinzaine de jours, Julien poursuit le jeu des lettres copiĂ©espour la marĂ©chale. Un jour, il reçoit d'elle une invitation Ă dĂ de la marĂ©chale, haut dignitaire de l'Eglise de France,dispensateur de bĂ©nĂ©fices ecclĂ©siastiques, frĂ©quente son salon. Par lepetit Tanbeau, autre secrĂ©taire du marquis, Julien apprend que Mme deFervaques n'est pas insensible au penchant que Julien lui manifeste. Chapitre 28 Dans ce jeu stupide des lettres copiĂ©es, Julien commet une bĂ©vue ilrecopie textuellement une lettre traitant de Londres et Richemond, au lieude Paris, ce dont lui fait remarque la destinataire. Pendant ce temps,Mathilde ne parvient pas Ă dĂ©tacher sa pensĂ©e de Julien, dont elle admirela facultĂ© de dissimulation et le machiavĂ©lisme, tandis que Julien doute deses capacitĂ©s. Il lui arrive de songer Ă quelque suicide solitaire. Chapitre 29 Mme de Fervaques regrette que Julien ne soit pas encore prĂÂȘtre, pour coupercourt aux calomnies, car l'intĂ©rĂÂȘt qu'elle prend Ă ses lettres de Juliens'accroĂt. Elle-mĂÂȘme Ă©crit quotidiennement. Les rĂ©ponses de Julien sonttoujours copiĂ©es sur le manuel, et ont peu de rapport avec les lettresreçues ; le style emphatique empĂÂȘche que Mme de Fervaques s'y aux lettres de la marĂ©chale, Julien les jette dans un tiroir sans lesdĂ©cacheter. Ce manĂšge, surpris par Mathilde, dĂ©clenche en elle une douleurd'orgueil ; elle accuse Julien de la mĂ©priser, et tombe Ă©vanouie Ă sespieds. Chapitre 30 Mathilde dĂ©cachette nerveusement les lettres de la marĂ©chale, puis exprimeses regrets de tout l'orgueil dont elle a pu faire souffrir Julien. Luis'impose une froideur affectĂ©e, alors qu'il est prĂÂȘt Ă cĂ©der aux Ă©lans del'amour. Le soir, il rĂ©pond Ă l'invitation de la marĂ©chale, dans sa loge Ă l'OpĂ©ra. Chapitre 31 En visite dans la loge de Mme de La Mole, Julien y trouve Mathilde enlarmes. En dĂ©pit de son envie, Julien se retient de lui adresser la parole,de peur de trahir son amour il s'imagine qu'un tel aveu serait de natureĂ faire Ă©vanouir celui de Mathilde, car il vit dans la crainte de reperdrel'avantage qu'il vient de gagner dans cette sorte de bataille. L'idĂ©e luivient que pour tenir l'ennemi en respect, il faut lui faire peur. Dans untĂÂȘte-Ă -tĂÂȘte, Mathilde lui propose, comme garantie de son amour, qu'ill'enlĂšve pour Londres, et ainsi la dĂ©shonore. Soudain, Julien faiblit et selaisse aller Ă faire confidence de son amour et de son malheur passĂ©. SĂ»r,maintenant, d'avoir gagnĂ© l'amour de Mathilde, il n'en continue pas moinssa correspondance avec Mme de Fervaques. Chapitre 32 Pour la premiĂšre fois, M connaĂt l'amour. Mais son orgueil lui dicte d'agirdangereusement. BientĂÂŽt, elle se trouve enceinte, et annonce son intentiond'Ă©crire Ă son pĂšre pour lui dĂ©voiler la situation. Julien obtient qu'ellediffĂšre d'une semaine. Lettre d'aveu de Mathilde Ă son pĂšre. A la suite dequoi, Julien est, sĂ©ance tenante, convoquĂ© chez le marquis. Chapitre 33 Dans sa fureur, le marquis accable Julien des plus bas jurons. Le jeunehomme lui propose de le faire tuer dans son jardin par un de ses cet entretien, il dĂ©cide d'aller solliciter les conseils de l'abbĂ©Pirard. De son cĂÂŽtĂ©, Mathilde voit son pĂšre, et lui affirme que s'il arrivemalheur Ă Julien, elle portera le deuil de Mme veuve Sorel. Lorsque Julienrentre Ă l'hĂÂŽtel de La Mole, Mathilde lui ordonne de gagner la propriĂ©tĂ© deVillequier et de lui abandonner le soin de ses affaires. Chapitre 34 Par suite de l'indĂ©cision du marquis, un mois se passe sans que lanĂ©gociation avance. Un jour, il dĂ©cide une donation de ses terres duLanguedoc, assortie d'une rente. Cependant, Mathilde demande Ă son pĂšre devenir assister Ă son prochain mariage. Alors, le marquis se voit acculer Ă prendre un parti. Parfois, il rĂÂȘve d'une fortune brillante pour Julien,mais redoute un cĂÂŽtĂ© que tout le monde qualifie d'effrayant dans lecaractĂšre de Julien. Au terme de longues dĂ©libĂ©rations, il prend le partid'Ă©crire une lettre Ă sa fille, dans laquelle il met Ă disposition deJulien un brevet de lieutenant de hussards. Mathilde lui rĂ©pond endemandant l'autorisation de se marier prochainement. Sur ce point, lemarquis ne rĂ©pond pas il ordonne Ă Julien de partir sur le champ Ă Strasbourg, oĂÂč son rĂ©giment tient garnison. Il fait observer Ă Mathildequ'en fait, elle ne connaĂt pas vraiment Julien. Julien, quant Ă lui, croitson roman fini par un succĂšs. Chapitre 35 A Strasbourg, le nouveau lieutenant se fait immĂ©diatement respecter, endĂ©pit d'une absence de formation et de son jeune ĂÂąge. Soudain, un messagede Mathilde lui parvient tout est perdu ; qu'il rentre d'urgence Ă Paris!Lorsqu'ils se retrouvent, elle lui donne Ă lire une lettre du marquis,Ă©crite avant son dĂ©part pour une destination inconnue. Il transmet Ă safille une lettre de Mme de RĂÂȘnal, au sujet de la moralitĂ© de Julien, enrĂ©ponse Ă une demande d'information diligentĂ©e par le marquis. Cette lettredĂ©nonce sĂ©vĂšrement l'ambition et l'intĂ©ressement de Julien, criminel parles moyens de sĂ©duction mis en oeuvre. Lorsqu'il en prend connaissance,Julien s'enfuit, prend la malle poste pour VerriĂšres, y achĂšte une paire depistolets, se rend Ă la messe oĂÂč assiste Mme de RĂÂȘnal, et, dans l'Ă©glise,tire deux coups sur elle. Chapitre 36 AussitĂÂŽt Julien est arrĂÂȘtĂ©, et conduit en prison. Mme de RĂÂȘnal n'est queblessĂ©e, ce qui l'afflige, car elle dĂ©sirait la mort. Elle avait remords desa lettre Ă M. de La Mole, dictĂ©e par son confesseur. Le juge reçoit desaveux complets Julien dĂ©sire sa condamnation Ă mort, qu'il estimemĂ©ritĂ©e. Il Ă©crit Ă Mlle de La Mole qu'elle garde le silence sur leuraventure, ne parle pas de son pĂšre Ă l'enfant qui va naĂtre, et qu'elleĂ©pouse M. de Croisenois. Progressivement, Julien renonce Ă l'ambition etse prĂ©pare Ă la mort. Nul remords. Mais le geĂÂŽlier lui apprend que Mme deRĂÂȘnal n'est pas morte de ses blessures. Alors seulement, il connaĂt leregret. TransportĂ© dans le donjon de la prison de Besançon, il y jouitd'une vue superbe. Un moment, il envisage de se tuer, mais y renonce. Il atrouvĂ© dans sa prison une sorte de bonheur. Chapitre 37 Un jour, il reçoit la visite de l'abbĂ© ChĂ©lan, vieilli par les ans etabattu par la circonstance. A travers lui, Julien voit la mort dans salaideur; elle lui paraĂt moins facile. Puis FouquĂ© vient le voir il nesonge qu'Ă vendre tout son bien pour trouver les moyens de faire Ă©vaderJulien. Cette visite sublime rend Ă l'accusĂ© la force que celle de l'abbĂ©ChĂ©lan lui avait ĂÂŽtĂ©e. Quant Ă son pĂšre, Julien entend ne pas le voir. Chapitre 38 DĂ©guisĂ©e en paysanne, Mlle de la Mole lui rend visite. Julien lui reprocheaussitĂÂŽt cette audace, qui risque de la perdre, si elle est sue. Pourvaincre le responsable qui faisait obstacle, Mathilde a dĂ» lui rĂ©vĂ©ler sonvrai nom. Dans sa folie, elle propose Ă Julien de se tuer avec lui. Elleparcourt Besançon dans l'idĂ©e de soulever le peuple en faveur de Julien. Aforce de sollicitations, elle obtient un rendez-vous avec l'abbĂ© deFrilair, et ne se rend Ă l'Ă©vĂÂȘchĂ© qu'avec crainte. Mathilde ne tarde pas Ă lui avouer qu'elle est la fille de son puissant adversaire. Frilair calculel'intĂ©rĂÂȘt de ces confidences qui peuvent le porter Ă l'Ă©vĂÂȘchĂ©. Il l'assurequ'il dispose de la majoritĂ© des jurĂ©s, ainsi que du ministĂšre public, pourrĂ©pondre du verdict. Chapitre 39 Mathilde Ă©prouve alors la passion la plus folle pour Julien, ne parle quede projets les plus pĂ©rilleux, veut Ă©tonner le public par l'excĂšs de sapassion. Mais Julien est fatiguĂ© d'hĂ©roĂÂŻsme, et souhaiterait plusd'intimitĂ©. L'ambition est morte en son coeur ; une autre a pris sa place le remords d'avoir attentĂ© Ă Mme de RĂÂȘnal, dont il est Ă©perdument Julien demande Ă Mathilde d'Ă©pouser M. de Croisenois, dont elle feral'avenir, et de confier la garde de son fils Ă Mme de RĂÂȘnal, qui, elle,dans quinze ans, ne l'aura pas encore oubliĂ©. Chapitre 40 Face au juge et Ă l'avocat, Julien nĂ©glige les Ă©lĂ©ments de sa dĂ©fense. Ilconstate qu'il n'a connu le bonheur d'exister que depuis qu'il est enprison, et que sa vie est menacĂ©e. Il passe ses journĂ©es Ă fumer descigares sur la terrasse du donjon. Pendant ce temps, le mot d'Ă©vĂÂȘchĂ© estprononcĂ© en faveur de l'abbĂ© de Frilair, qui se dĂ©pense en intrigues auprĂšsdes jurĂ©s pour sauver Julien. De son cĂÂŽtĂ©, Mme de RĂÂȘnal, venue Ă Besançonpour le procĂšs, Ă©crit Ă chacun des jurĂ©s pour demander l'indulgence ; ellerenonce Ă toute vengeance. Chapitre 41 Enfin, le procĂšs s'ouvre. Mathilde porte Ă l'abbĂ© de Frilair une lettre deMgr l'Ă©vĂÂȘque de ***, premier prĂ©lat de France, qui demande l'acquittementde Julien. Une nouvelle fois, Frilair rĂ©pond du jury. Quand Julien estconduit au tribunal, un murmure d'intĂ©rĂÂȘt l'accueille Ă son entrĂ©e dans lasalle, remplie de jolies femmes ; on se bouscule Ă la porte pour assisteraux dĂ©bats. Lors de la plaidoirie, l'accusĂ© est sur le point des'attendrir. Puis Julien prend la parole pendant vingt minutes; il dit toutce qu'il a sur le coeur, se prĂ©sente comme l'illustration d'un cas socialde paysan ambitieux mĂ©ritant la mort, et dĂ©nonce son jury comme appartenantĂ la classe bourgeoise. AprĂšs une longue dĂ©libĂ©ration, ce jury le dĂ©clarecoupable et le condamne Ă la peine de mort, dans les trois jours. Autour delui, les femmes sanglotent, et Mathilde, cachĂ©e derriĂšre un pilier, jetteun cri. Julien soupçonne que Valenod, prĂ©sident du jury, son rival auprĂšsde Mme de RĂÂȘnal, a cherchĂ© Ă se venger. Chapitre 42 De retour Ă la prison, Julien est placĂ© dans l'inconfortable cachot descondamnĂ©s Ă mort. Il repousse les consolations de la religion, tient leDieu de la Bible pour un despote sans pitiĂ©. Mais le Dieu de FĂ©nelon,celui-lĂ ne saurait-il pardonner? Mathilde, changĂ©e par la douleur, lerĂ©veille au matin ; elle est venue avec l'avocat pour lui faire signer sonappel. Mais Julien refuse il craint que son courage s'Ă©mousse aprĂšsplusieurs mois de cachot, et prĂ©fĂšre mourir sans tarder. Pendant toute ladurĂ©e de cette entrevue avec Mathilde, Julien ne cesse de rĂÂȘver Ă Mme deRĂÂȘnal, Ă sa chambre Ă coucher de VerriĂšres ; il est persuadĂ© que la femmequ'il a voulu assassiner sera la seule Ă pleurer sincĂšrement sa mort. Chapitre 43 Une heure plus tard, il est rĂ©veillĂ© par des larmes - celles de Mme deRĂÂȘnal! Celle-ci le supplie Ă son tour de signer son appel, et cette fois,Julien y consent. Duo d'amour. Ils se font des confidences sur leur passĂ©.Pour la premiĂšre fois, Julien comprend les sacrifices qu'elle a fait pourlui en venant le voir dans sa prison. Pendant ce temps, Ă la porte de laprison, un prĂÂȘtre, Ă deux genoux dans la boue, fait le siĂšge pour obtenirla confession du condamnĂ©. Furieux de ces manifestations qui ameutent lafoule, Julien demande qu'on fasse entrer le prĂÂȘtre, et parvient Ă le fairedĂ©camper en lui demandant de dire une messe Ă son intention. Chapitre 44 Nouvelle visite de Mathilde. Si le recours en grĂÂące n'aboutit pas, la mortde Julien, laisse-t-elle entendre, ressemblera Ă un suicide. Julienparvient Ă se dĂ©faire d'elle ; il aspire Ă la solitude, quand FouquĂ©, Ă sontour, vient le voir ; il le congĂ©die Ă©galement. Puis c'est au tour de sonpĂšre, que Julien reçoit avec grand malaise, et qui l'accable de retourne la situation en l'intĂ©ressant Ă ses Ă©conomies. RestĂ© seul,et affaibli par l'incarcĂ©ration, Julien s'adonne Ă des rĂ©flexionsmĂ©taphysiques, aspire Ă une religion vraie et bonne. Mais il convient, pourfinir, que la seule chose qui lui manque est la prĂ©sence de Mme de RĂÂȘnal. Chapitre 45 En dĂ©pit des instructions de son mari, celle-ci s'est Ă©chappĂ©e de VerriĂšreset est revenue Ă Besançon pour ĂÂȘtre auprĂšs de Julien. Elle obtient de levoir deux fois par jour. Julien apprend la mort, dans un duel, du marquisde Croisenois, lequel avait su par lettres anonymes la vĂ©ritĂ© de lasituation de Mathilde. Cette mort change les plans de Julien quant Ă l'avenir de Mathilde ; il tente Ă prĂ©sent de la persuader d'Ă©pouser M. deLuz. FrappĂ© de son propre irrĂ©mĂ©diable malheur Julien en aime une autre,Mathilde traverse une phase dĂ©pressive. Au milieu de cette vie apaisĂ©e avecMme de RĂÂȘnal, Julien est encore la victime d'une intrigue de sonconfesseur, qui lui demande une conversion avec Ă©clat, pour faireimpression sur les jeunes femmes de Besançon. Refus hautain de Julien, quitient Ă garder sa dignitĂ©. Peu aprĂšs, Mme de RĂÂȘnal lui confie son intentionde se rendre Ă Saint-Cloud, rĂ©clamer auprĂšs du roi Charles X la grĂÂące deJulien. Mais Julien lui interdit cette dĂ©marche. Il prĂ©pare sa fin, demandeque sa dĂ©pouille soit enterrĂ©e dans une petite grotte de la montagnedominant VerriĂšres. AprĂšs l'exĂ©cution, Mathilde vient visiter la dĂ©pouille,pose la tĂÂȘte de Julien sur une table et la baise au front. Dans le cortĂšgefunĂšbre, Ă l'insu de tous, elle porte cette tĂÂȘte sur ses genoux. LacĂ©rĂ©monie se fait avec vingt prĂÂȘtres et de nombreux curieux venus desenvirons. Plus tard, assistĂ©e de FouquĂ©, Mathilde enterre elle-mĂÂȘme la tĂÂȘtede Julien. Par la suite, elle fait orner de marbre venu d'Italie la grottefunĂ©raire. Quant Ă Mme de RĂÂȘnal, elle meurt trois jours aprĂšs l'enterrementde Julien, entourĂ©e de ses ROUGE ET LE NOIR Chronique du XIXe siĂšcle par Stendhal 1830 LIVRE PREMIER Ă La vĂ©ritĂ©, l'ĂÂąpre vĂ©ritĂ© Ă» Danton CHAPITRE PREMIER UNE PETITE VILLE Put thousands together; Less bad, But the cage less gay. HOBBES. La petite ville de VerriĂšres peut passer pour l'une des plus jolies de la Franche-ComtĂ©. Ses maisons blanches avec leurs toits pointus de tuiles rouges s'Ă©tendent sur la pente d'une colline, dont des touffes de vigoureux chĂÂątaigniers marquent les moindres sinuositĂ©s. Le Doubs coule Ă quelques centaines de pieds au-dessous de ses fortifications, bĂÂąties jadis par les Espagnols, et maintenant ruinĂ©es. VerriĂšres est abritĂ©e du cĂÂŽtĂ© du nord par une haute montagne, c'est une des branches du Jura. Les cimes brisĂ©es du Verra se couvrent de neige dĂšs les premiers froids d'octobre. Un torrent, qui se prĂ©cipite de la montagne, traverse VerriĂšres avant de se jeter dans le Doubs, et donne le mouvement Ă un grand nombre de scies Ă bois; c'est une industrie fort simple et qui procure un certain bien-ĂÂȘtre Ă la majeure partie des habitants plus paysans que bourgeois. Ce ne sont pas cependant les scies Ă bois qui ont enrichi cette petite ville. C'est Ă la fabrique des toiles peintes, dites de Mulhouse, que l'on doit l'aisance gĂ©nĂ©rale qui, depuis la chute de NapolĂ©on, a fait rebĂÂątir les façades de presque toutes les maisons de VerriĂšres. A peine entre-t-on dans la ville que l'on est Ă©tourdi par le fracas d'une machine bruyante et terrible en apparence. Vingt marteaux pesants, et retombant avec un bruit qui fait trembler le pavĂ©, sont Ă©levĂ©s par une roue que l'eau du torrent fait mouvoir. Chacun de ces marteaux fabrique, chaque jour, je ne sais combien de milliers de clous. Ce sont des jeunes filles fraĂches et jolies qui prĂ©sentent aux coups de ces marteaux Ă©normes les petits morceaux de fer qui sont rapidement transformĂ©s en clous. Ce travail, si rude en apparence, est un de ceux qui Ă©tonnent le plus le voyageur qui pĂ©nĂštre pour la premiĂšre fois dans les montagnes qui sĂ©parent la France de l'HelvĂ©tie. Si, en entrant Ă VerriĂšres, le voyageur demande Ă qui appartient cette belle fabrique de clous qui assourdit les gens qui montent la grande rue, on lui rĂ©pond avec un accent traĂnard Eh! elle est Ă M. le maire . Pour peu que le voyageur s'arrĂÂȘte quelques instants dans cette grande rue de VerriĂšres, qui va en montant depuis la rive du Doubs jusque vers le sommet de la colline, il y a cent Ă parier contre un qu'il verra paraĂtre un grand homme Ă l'air affairĂ© et important. A son aspect tous les chapeaux se lĂšvent rapidement. Ses cheveux sont grisonnants, et il est vĂÂȘtu de gris. Il est chevalier de plusieurs ordres, il a un grand front, un nez aquilin, et au total sa figure ne manque pas d'une certaine rĂ©gularitĂ© on trouve mĂÂȘme, au premier aspect, qu'elle rĂ©unit Ă la dignitĂ© du maire de village cette sorte d'agrĂ©ment qui peut encore se rencontrer avec quarante-huit ou cinquante ans. Mais bientĂÂŽt le voyageur parisien est choquĂ© d'un certain air de contentement de soi et de suffisance mĂÂȘlĂ© Ă je ne sais quoi de bornĂ© et de peu inventif. On sent enfin que le talent de cet homme-lĂ se borne Ă se faire payer bien exactement ce qu'on lui doit, et Ă payer lui-mĂÂȘme le plus tard possible quand il doit. Tel est le maire de VerriĂšres, M. de RĂÂȘnal. AprĂšs avoir traversĂ© la rue d'un pas grave, il entre Ă la mairie et disparaĂt aux yeux du voyageur. Mais, cent pas plus haut, si celui-ci continue sa promenade, il aperçoit une maison d'assez belle apparence, et, Ă travers une grille de fer attenante Ă la maison, des jardins magnifiques. Au-delĂ , c'est une ligne d'horizon formĂ©e par les collines de la Bourgogne, et qui semble faite Ă souhait pour le plaisir des yeux. Cette vue fait oublier au voyageur l'atmosphĂšre empestĂ©e des petits intĂ©rĂÂȘts d'argent dont il commence Ă ĂÂȘtre asphyxiĂ©. On lui apprend que cette maison appartient Ă M. de RĂÂȘnal. C'est aux bĂ©nĂ©fices qu'il a faits sur sa grande fabrique de clous que le maire de VerriĂšres doit cette belle habitation en pierre de taille qu'il achĂšve en ce moment. Sa famille, dit-on, est espagnole, antique, et, Ă ce qu'on prĂ©tend, Ă©tablie dans le pays bien avant la conquĂÂȘte de Louis XIV. Depuis 1815, il rougit d'ĂÂȘtre industriel 1815 l'a fait maire de VerriĂšres. Les murs en terrasse qui soutiennent les diverses parties de ce magnifique jardin qui, d'Ă©tage en Ă©tage, descend jusqu'au Doubs, sont aussi la rĂ©compense de la science de M. de RĂÂȘnal dans le commerce du fer. Ne vous attendez point Ă trouver en France ces jardins pittoresques qui entourent les villes manufacturiĂšres de l'Allemagne, Leipsick, Francfort, Nuremberg, etc. En Franche-ComtĂ©, plus on bĂÂątit de murs, plus on hĂ©risse sa propriĂ©tĂ© de pierres rangĂ©es les unes au-dessus des autres, plus on acquiert de droits aux respects de ses voisins. Les jardins de M. de RĂÂȘnal, remplis de murs, sont encore admirĂ©s parce qu'il a achetĂ©, au poids de l'or, certains petits morceaux de terrain qu'ils occupent. Par exemple, cette scie Ă bois, dont la position singuliĂšre sur la rive du Doubs vous a frappĂ© en entrant Ă VerriĂšres, et oĂÂč vous avez remarquĂ© le nom de SOREL, Ă©crit en caractĂšres gigantesques sur une planche qui domine le toit, elle occupait, il y a six ans, l'espace sur lequel on Ă©lĂšve en ce moment le mur de la quatriĂšme terrasse des jardins de M. de RĂÂȘnal. MalgrĂ© sa fiertĂ©, M. le maire a dĂ» faire bien des dĂ©marches auprĂšs du vieux Sorel, paysan dur et entĂÂȘtĂ©; il a dĂ» lui compter de beaux louis d'or pour obtenir qu'il transportĂÂąt son usine ailleurs. Quant au ruisseau public qui faisait aller la scie, M. de RĂÂȘnal, au moyen du crĂ©dit dont il jouit Ă Paris, a obtenu qu'il fĂ»t dĂ©tournĂ©. Cette grĂÂące lui vint aprĂšs les Ă©lections de 182... Il a donnĂ© Ă Sorel quatre arpents pour un, Ă cinq cents pas plus bas sur les bords du Doubs. Et, quoique cette position fĂ»t beaucoup plus avantageuse pour son commerce de planches de sapin, le pĂšre Sorel, comme on l'appelle depuis qu'il est riche, a eu le secret d'obtenir de l'impatience et de la manie de propriĂ©taire , qui animait son voisin, une somme de 6000 francs. Il est vrai que cet arrangement a Ă©tĂ© critiquĂ© par les bonnes tĂÂȘtes de l'endroit. Une fois, c'Ă©tait un jour de dimanche, il y a quatre ans de cela, M. de RĂÂȘnal, revenant de l'Ă©glise en costume de maire, vit de loin le vieux Sorel, entourĂ© de ses trois fils, sourire en le regardant. Ce sourire a portĂ© un jour fatal dans l'ĂÂąme de M. le maire, il pense depuis lors qu'il eĂ»t pu obtenir l'Ă©change Ă meilleur marchĂ©. Pour arriver Ă la considĂ©ration publique Ă VerriĂšres, l'essentiel est de ne pas adopter, tout en bĂÂątissant beaucoup de murs, quelque plan apportĂ© d'Italie par ces maçons, qui, au printemps, traversent les gorges du Jura pour gagner Paris. Une telle innovation vaudrait Ă l'imprudent bĂÂątisseur une Ă©ternelle rĂ©putation de mauvaise tĂÂȘte , et il serait Ă jamais perdu auprĂšs des gens sages et modĂ©rĂ©s qui distribuent la considĂ©ration en Franche-ComtĂ©. Dans le fait, ces gens sages y exercent le plus ennuyeux despotisme ; c'est Ă cause de ce vilain mot que le sĂ©jour des petites villes est insupportable pour qui a vĂ©cu dans cette grande rĂ©publique qu'on appelle Paris. La tyrannie de l'opinion, et quelle opinion! est aussi bĂÂȘte dans les petites villes de France, qu'aux Etats-Unis d'AmĂ©rique. CHAPITRE II UN MAIRE L'importance! monsieur, n'est-ce rien? Le respect des sots, l'Ă©bahissement des enfants, l'envie des riches, le mĂ©pris du sage. BARNAVE. Heureusement pour la rĂ©putation de M. de RĂÂȘnal comme administrateur, un immense mur de soutĂšnement Ă©tait nĂ©cessaire Ă la promenade publique qui longe la colline Ă une centaine de pieds au-dessus du cours du Doubs. Elle doit Ă cette admirable position une des vues les plus pittoresques de France. Mais, Ă chaque printemps, les eaux de pluie sillonnaient la promenade, y creusaient des ravins et la rendaient impraticable. Cet inconvĂ©nient, senti par tous, mit M. de RĂÂȘnal dans l'heureuse nĂ©cessitĂ© d'immortaliser son administration par un mur de vingt pieds de hauteur et de trente ou quarante toises de long. Le parapet de ce mur pour lequel M. de RĂÂȘnal a dĂ» faire trois voyages Ă Paris, car l'avant-dernier ministre de l'IntĂ©rieur s'Ă©tait dĂ©clarĂ© l'ennemi mortel de la promenade de VerriĂšres, le parapet de ce mur s'Ă©lĂšve maintenant de quatre pieds au-dessus du sol. Et, comme pour braver tous les ministres prĂ©sents et passĂ©s, on le garnit en ce moment avec des dalles de pierre de taille. Combien de fois, songeant aux bals de Paris abandonnĂ©s la veille, et la poitrine appuyĂ©e contre ces grands blocs de pierre d'un beau gris tirant sur le bleu, mes regards ont plongĂ© dans la vallĂ©e du Doubs! Au-delĂ , sur la rive gauche, serpentent cinq ou six vallĂ©es au fond desquelles l'oeil distingue fort bien de petits ruisseaux. AprĂšs avoir couru de cascade en cascade on les voit tomber dans le Doubs. Le soleil est fort chaud dans ces montagnes; lorsqu'il brille d'aplomb, la rĂÂȘverie du voyageur est abritĂ©e sur cette terrasse par de magnifiques platanes. Leur croissance rapide et leur belle verdure tirant sur le bleu, ils la doivent Ă la terre rapportĂ©e, que M. le maire a fait placer derriĂšre son immense mur de soutĂšnement, car, malgrĂ© l'opposition du conseil municipal, il a Ă©largi la promenade de plus de six pieds quoiqu'il soit ultra et moi libĂ©ral, je l'en loue, c'est pourquoi dans son opinion et dans celle de M. Valenod, l'heureux directeur du dĂ©pĂÂŽt de mendicitĂ© de VerriĂšres, cette terrasse peut soutenir la comparaison avec celle de Saint-Germain-en-Laye. Je ne trouve, quant Ă moi, qu'une chose Ă reprendre au COURS DE LA FIDELITE; on lit ce nom officiel en quinze ou vingt endroits, sur des plaques de marbre qui ont valu une croix de plus Ă M. de RĂÂȘnal; ce que je reprocherais au Cours de la FidĂ©litĂ©, c'est la maniĂšre barbare dont l'autoritĂ© fait tailler et tondre jusqu'au vif ces vigoureux platanes. Au lieu de ressembler par leurs tĂÂȘtes basses, rondes et aplaties, Ă la plus vulgaire des plantes potagĂšres, ils ne demanderaient pas mieux que d'avoir ces formes magnifiques qu'on leur voit en Angleterre. Mais la volontĂ© de M. le maire est despotique, et deux fois par an tous les arbres appartenant Ă la commune sont impitoyablement amputĂ©s. Les libĂ©raux de l'endroit prĂ©tendent, mais ils exagĂšrent, que la main du jardinier officiel est devenue bien plus sĂ©vĂšre depuis que M. le vicaire Maslon a pris l'habitude de s'emparer des produits de la tonte. Ce jeune ecclĂ©siastique fut envoyĂ© de Besançon, il y a quelques annĂ©es, pour surveiller l'abbĂ© ChĂ©lan et quelques curĂ©s des environs. Un vieux chirurgien-major de l'armĂ©e d'Italie retirĂ© Ă VerriĂšres, et qui de son vivant Ă©tait Ă la fois, suivant M. le maire, jacobin et bonapartiste, osa bien un jour se plaindre Ă lui de la mutilation pĂ©riodique de ces beaux arbres. - J'aime l'ombre, rĂ©pondit M. de RĂÂȘnal avec la nuance de hauteur convenable quand on parle Ă un chirurgien, membre de la LĂ©gion d'honneur; j'aime l'ombre, je fais tailler mes arbres pour donner de l'ombre, et je ne conçois pas qu'un arbre soit fait pour autre chose, quand toutefois, comme l'utile noyer, il ne rapporte pas de revenu . VoilĂ le grand mot qui dĂ©cide de tout Ă VerriĂšres RAPPORTER DU REVENU. A lui seul il reprĂ©sente la pensĂ©e habituelle de plus des trois quarts des habitants. Rapporter du revenu est la raison qui dĂ©cide de tout dans cette petite ville qui vous semblait si jolie. L'Ă©tranger qui arrive, sĂ©duit par la beautĂ© des fraĂches et profondes vallĂ©es qui l'entourent, s'imagine d'abord que ses habitants sont sensibles au beau , ils ne parlent que trop souvent de la beautĂ© de leur pays on ne peut pas nier qu'ils n'en fassent grand cas, mais c'est parce qu'elle attire quelques Ă©trangers dont l'argent enrichit les aubergistes, ce qui, par le mĂ©canisme de l'octroi, rapporte du revenu Ă la ville . C'Ă©tait par un beau jour d'automne que M. de RĂÂȘnal se promenait sur le Cours de la FidĂ©litĂ©, donnant le bras Ă sa femme. Tout en Ă©coutant son mari qui parlait d'un air grave, l'oeil de Mme de RĂÂȘnal suivait avec inquiĂ©tude les mouvements de trois petits garçons. L'aĂnĂ©, qui pouvait avoir onze ans, s'approchait trop souvent du parapet et faisait mine d'y monter. Une voix douce prononçait alors le nom d'Adolphe, et l'enfant renonçait Ă son projet ambitieux. Mme de RĂÂȘnal paraissait une femme de trente ans, mais encore assez jolie. - Il pourrait bien s'en repentir, ce beau monsieur de Paris, disait M. de RĂÂȘnal d'un air offensĂ©, et la joue plus pĂÂąle encore qu'Ă l'ordinaire. Je ne suis pas sans avoir quelques amis au ChĂÂąteau... Mais, quoique je veuille vous parler de la province pendant deux cents pages, je n'aurai pas la barbarie de vous faire subir la longueur et les mĂ©nagements savants d'un dialogue de province. Ce beau monsieur de Paris, si odieux au maire de VerriĂšres, n'Ă©tait autre que M. Appert, qui, deux jours auparavant, avait trouvĂ© le moyen de s'introduire non seulement dans la prison et le dĂ©pĂÂŽt de mendicitĂ© de VerriĂšres, mais aussi dans l'hĂÂŽpital administrĂ© gratuitement par le maire et les principaux propriĂ©taires de l'endroit. - Mais, disait timidement Mme de RĂÂȘnal, quel tort peut vous faire ce monsieur de Paris, puisque vous administrez le bien des pauvres avec la plus scrupuleuse probitĂ©? - Il ne vient que pour dĂ©verser le blĂÂąme, et ensuite il fera insĂ©rer des articles dans les journaux du libĂ©ralisme. - Vous ne les lisez jamais, mon ami. - Mais on nous parle de ces articles jacobins; tout cela nous distrait et nous empĂÂȘche de faire le bien *. Quant Ă moi, je ne pardonnerai jamais au curĂ©. [* Historique.] CHAPITRE III LE BIEN DES PAUVRES Un curĂ© vertueux et sans intrigue est une Providence pour le village . FLEURY. Il faut savoir que le curĂ© de VerriĂšres, vieillard de quatre-vingts ans, mais qui devait Ă l'air vif de ces montagnes une santĂ© et un caractĂšre de fer, avait le droit de visiter Ă toute heure la prison, l'hĂÂŽpital et mĂÂȘme le dĂ©pĂÂŽt de mendicitĂ©. C'Ă©tait prĂ©cisĂ©ment Ă six heures du matin que M. Appert, qui de Paris Ă©tait recommandĂ© au curĂ©, avait eu la sagesse d'arriver dans une petite ville curieuse. AussitĂÂŽt il Ă©tait allĂ© au presbytĂšre. En lisant la lettre que lui Ă©crivait M. le marquis de La Mole, pair de France, et le plus riche propriĂ©taire de la province, le curĂ© ChĂ©lan resta pensif. Je suis vieux et aimĂ© ici, se dit-il enfin Ă mi-voix, ils n'oseraient! Se tournant tout de suite vers le monsieur de Paris, avec des yeux oĂÂč, malgrĂ© le grand ĂÂąge, brillait ce feu sacrĂ© qui annonce le plaisir de faire une belle action un peu dangereuse - Venez avec moi, monsieur, et en prĂ©sence du geĂÂŽlier et surtout des surveillants du dĂ©pĂÂŽt de mendicitĂ©, veuillez n'Ă©mettre aucune opinion sur les choses que nous verrons. M. Appert comprit qu'il avait affaire Ă un homme de coeur il suivit le vĂ©nĂ©rable curĂ©, visita la prison, l'hospice, le dĂ©pĂÂŽt, fit beaucoup de questions, et, malgrĂ© d'Ă©tranges rĂ©ponses, ne se permit pas la moindre marque de blĂÂąme. Cette visite dura plusieurs heures. Le curĂ© invita Ă dĂner M. Appert, qui prĂ©tendit avoir des lettres Ă Ă©crire il ne voulait pas compromettre davantage son gĂ©nĂ©reux compagnon. Vers les trois heures, ces messieurs allĂšrent achever l'inspection du dĂ©pĂÂŽt de mendicitĂ©, et revinrent ensuite Ă la prison. LĂ , ils trouvĂšrent sur la porte le geĂÂŽlier, espĂšce de gĂ©ant de six pieds de haut et Ă jambes arquĂ©es; sa figure ignoble Ă©tait devenue hideuse par l'effet de la terreur. - Ah! monsieur, dit-il au curĂ©, dĂšs qu'il l'aperçut, ce monsieur, que je vois lĂ avec vous, n'est-il pas M. Appert? - Qu'importe? dit le curĂ©. - C'est que depuis hier j'ai l'ordre le plus prĂ©cis, et que M. le prĂ©fet a envoyĂ© par un gendarme, qui a dĂ» galoper toute la nuit, de ne pas admettre M. Appert dans la prison. - Je vous dĂ©clare, M. Noiroud, dit le curĂ©, que ce voyageur, qui est avec moi, est M. Appert. Reconnaissez-vous que j'ai le droit d'entrer dans la prison Ă toute heure du jour et de la nuit, et en me faisant accompagner par qui je veux? - Oui, M. le curĂ©, dit le geĂÂŽlier Ă voix basse, et baissant la tĂÂȘte comme un bouledogue que fait obĂ©ir Ă regret la crainte du bĂÂąton. Seulement, M. le curĂ©, j'ai femme et enfants, si je suis dĂ©noncĂ© on me destituera; je n'ai pour vivre que ma place. - Je serais aussi bien fĂÂąchĂ© de perdre la mienne, reprit le bon curĂ©, d'une voix de plus en plus Ă©mue. - Quelle diffĂ©rence! reprit vivement le geĂÂŽlier; vous, M. le curĂ©, on sait que vous avez 800 livres de rente, du bon bien au soleil... Tels sont les faits qui, commentĂ©s, exagĂ©rĂ©s de vingt façons diffĂ©rentes, agitaient depuis deux jours toutes les passions haineuses de la petite ville de VerriĂšres. Dans ce moment, ils servaient de texte Ă la petite discussion que M. de RĂÂȘnal avait avec sa femme. Le matin, suivi de M. Valenod, directeur du dĂ©pĂÂŽt de mendicitĂ©, il Ă©tait allĂ© chez le curĂ© pour lui tĂ©moigner le plus vif mĂ©contentement. M. ChĂ©lan n'Ă©tait protĂ©gĂ© par personne; il sentit toute la portĂ©e de leurs paroles. - Eh bien, messieurs! je serai le troisiĂšme curĂ©, de quatre-vingts ans d'ĂÂąge, que l'on destituera dans ce voisinage. Il y a cinquante-six ans que je suis ici; j'ai baptisĂ© presque tous les habitants de la ville, qui n'Ă©tait qu'un bourg quand j'y arrivai. Je marie tous les jours des jeunes gens, dont jadis j'ai mariĂ© les grands-pĂšres. VerriĂšres est ma famille; mais je me suis dit, en voyant l'Ă©tranger Cet homme venu de Paris peut ĂÂȘtre Ă la vĂ©ritĂ© un libĂ©ral, il n'y en a que trop; mais quel mal peut-il faire Ă nos pauvres et Ă nos prisonniers? Les reproches de M. de RĂÂȘnal, et surtout ceux de M. Valenod, le directeur du dĂ©pĂÂŽt de mendicitĂ©, devenant de plus en plus vifs - Eh bien, messieurs! faites-moi destituer, s'Ă©tait Ă©criĂ© le vieux curĂ©, d'une voix tremblante. Je n'en habiterai pas moins le pays. On sait qu'il y a quarante-huit ans, j'ai hĂ©ritĂ© d'un champ qui rapporte 800 livres. Je vivrai avec ce revenu. Je ne fais point d'Ă©conomies dans ma place, moi, messieurs, et c'est peut-ĂÂȘtre pourquoi je ne suis pas si effrayĂ© quand on parle de me la faire perdre. M. de RĂÂȘnal vivait fort bien avec sa femme; mais ne sachant que rĂ©pondre Ă cette idĂ©e, qu'elle lui rĂ©pĂ©tait timidement Ă Quel mal ce monsieur de Paris peut-il faire aux prisonniers? Ă» il Ă©tait sur le point de se fĂÂącher tout Ă fait quand elle jeta un cri. Le second de ses fils venait de monter sur le parapet du mur de la terrasse, et y courait, quoique ce mur fĂ»t Ă©levĂ© de plus de vingt pieds sur la vigne qui est de l'autre cĂÂŽtĂ©. La crainte d'effrayer son fils et de le faire tomber empĂÂȘchait Mme de RĂÂȘnal de lui adresser la parole. Enfin l'enfant, qui riait de sa prouesse, ayant regardĂ© sa mĂšre, vit sa pĂÂąleur, sauta sur la promenade et accourut Ă elle. Il fut bien grondĂ©. Ce petit Ă©vĂ©nement changea le cours de la conversation. - Je veux absolument prendre chez moi Sorel, le fils du scieur de planches, dit M. de RĂÂȘnal; il surveillera les enfants qui commencent Ă devenir trop diables pour nous. C'est un jeune prĂÂȘtre, ou autant vaut, bon latiniste, et qui fera faire des progrĂšs aux enfants; car il a un caractĂšre ferme, dit le curĂ©. Je lui donnerai 300 francs et la nourriture. J'avais quelques doutes sur sa moralitĂ©; car il Ă©tait le benjamin de ce vieux chirurgien, membre de la LĂ©gion d'honneur, qui, sous prĂ©texte qu'il Ă©tait leur cousin, Ă©tait venu se mettre en pension chez les Sorel. Cet homme pouvait fort bien n'ĂÂȘtre au fond qu'un agent secret des libĂ©raux; il disait que l'air de nos montagnes faisait du bien Ă son asthme; mais c'est ce qui n'est pas prouvĂ©. Il avait fait toutes les campagnes de BuonapartĂ© en Italie, et mĂÂȘme avait, dit-on, signĂ© non pour l'Empire dans le temps. Ce libĂ©ral montrait le latin au fils Sorel, et lui a laissĂ© cette quantitĂ© de livres qu'il avait apportĂ©s avec lui. Aussi n'aurais-je jamais songĂ© Ă mettre le fils du charpentier auprĂšs de nos enfants; mais le curĂ©, justement la veille de la scĂšne qui vient de nous brouiller Ă jamais, m'a dit que ce Sorel Ă©tudie la thĂ©ologie depuis trois ans, avec le projet d'entrer au sĂ©minaire; il n'est donc pas libĂ©ral, et il est latiniste. Cet arrangement convient de plus d'une façon, continua M. de RĂÂȘnal, en regardant sa femme d'un air diplomatique; le Valenod est tout fier des deux beaux normands qu'il vient d'acheter pour sa calĂšche. Mais il n'a pas de prĂ©cepteur pour ses enfants. - Il pourrait bien nous enlever celui-ci. - Tu approuves donc mon projet? dit M. de RĂÂȘnal, remerciant sa femme, par un sourire, de l'excellente idĂ©e qu'elle venait d'avoir. Allons, voilĂ qui est dĂ©cidĂ©. - Ah, bon Dieu! mon cher ami, comme tu prends vite un parti! - C'est que j'ai du caractĂšre, moi, et le curĂ© l'a bien vu. Ne dissimulons rien, nous sommes environnĂ©s de libĂ©raux ici. Tous ces marchands de toile me portent envie, j'en ai la certitude; deux ou trois deviennent des richards; eh bien! j'aime assez qu'ils voient passer les enfants de M. de RĂÂȘnal allant Ă la promenade sous la conduite de leur prĂ©cepteur . Cela imposera. Mon grand-pĂšre nous racontait souvent que, dans sa jeunesse, il avait eu un prĂ©cepteur. C'est cent Ă©cus qu'il m'en pourra coĂ»ter, mais ceci doit ĂÂȘtre classĂ© comme une dĂ©pense nĂ©cessaire pour soutenir notre rang. Cette rĂ©solution subite laissa Mme de RĂÂȘnal toute pensive. C'Ă©tait une femme grande, bien faite, qui avait Ă©tĂ© la beautĂ© du pays, comme on dit dans ces montagnes. Elle avait un certain air de simplicitĂ©, et de la jeunesse dans la dĂ©marche; aux yeux d'un Parisien, cette grĂÂące naĂÂŻve, pleine d'innocence et de vivacitĂ©, serait mĂÂȘme allĂ©e jusqu'Ă rappeler des idĂ©es de douce voluptĂ©. Si elle eĂ»t appris ce genre de succĂšs, Mme de RĂÂȘnal en eĂ»t Ă©tĂ© bien honteuse. Ni la coquetterie, ni l'affectation n'avaient jamais approchĂ© de ce coeur. M. Valenod, le riche directeur du dĂ©pĂÂŽt, passait pour lui avoir fait la cour, mais sans succĂšs, ce qui avait jetĂ© un Ă©clat singulier sur sa vertu; car ce M. Valenod, grand jeune homme, taillĂ© en force, avec un visage colorĂ© et de gros favoris noirs, Ă©tait un de ces ĂÂȘtres grossiers, effrontĂ©s et bruyants, qu'en province on appelle de beaux hommes. Mme de RĂÂȘnal, fort timide, et d'un caractĂšre en apparence fort inĂ©gal, Ă©tait surtout choquĂ©e du mouvement continuel et des Ă©clats de voix de M. Valenod. L'Ă©loignement qu'elle avait pour ce qu'Ă VerriĂšres on appelle de la joie, lui avait valu la rĂ©putation d'ĂÂȘtre trĂšs fiĂšre de sa naissance. Elle n'y songeait pas, mais avait Ă©tĂ© fort contente de voir les habitants de la ville venir moins chez elle. Nous ne dissimulerons pas qu'elle passait pour sotte aux yeux de leurs dames, parce que, sans nulle politique Ă l'Ă©gard de son mari, elle laissait Ă©chapper les plus belles occasions de se faire acheter de beaux chapeaux de Paris ou de Besançon. Pourvu qu'on la laissĂÂąt seule errer dans son beau jardin, elle ne se plaignait jamais. C'Ă©tait une ĂÂąme naĂÂŻve, qui jamais ne s'Ă©tait Ă©levĂ©e mĂÂȘme jusqu'Ă juger son mari, et Ă s'avouer qu'il l'ennuyait. Elle supposait, sans se le dire, qu'entre mari et femme il n'y avait pas de plus douces relations. Elle aimait surtout M. de RĂÂȘnal quand il lui parlait de ses projets sur leurs enfants, dont il destinait l'un Ă l'Ă©pĂ©e, le second Ă la magistrature, et le troisiĂšme Ă l'Eglise. En somme, elle trouvait M. de RĂÂȘnal beaucoup moins ennuyeux que tous les hommes de sa connaissance. Ce jugement conjugal Ă©tait raisonnable. Le maire de VerriĂšres devait une rĂ©putation d'esprit et surtout de bon ton Ă une demi-douzaine de plaisanteries dont il avait hĂ©ritĂ© d'un oncle. Le vieux capitaine de RĂÂȘnal servait avant la RĂ©volution dans le rĂ©giment d'infanterie de M. le duc d'OrlĂ©ans, et, quand il allait Ă Paris, Ă©tait admis dans les salons du prince. Il y avait vu Mme de Montesson, la fameuse Mme de Genlis, M. Ducrest, l'inventeur du Palais-Royal. Ces personnages ne reparaissaient que trop souvent dans les anecdotes de M. de RĂÂȘnal. Mais peu Ă peu ce souvenir de choses aussi dĂ©licates Ă raconter Ă©tait devenu un travail pour lui, et, depuis quelque temps, il ne rĂ©pĂ©tait que dans les grandes occasions ses anecdotes relatives Ă la maison d'OrlĂ©ans. Comme il Ă©tait d'ailleurs fort poli, exceptĂ© lorsqu'on parlait d'argent, il passait, avec raison, pour le personnage le plus aristocratique de VerriĂšres. CHAPITRE IV UN PERE ET UN FILS E sarĂ mia colpa, Se cosi Ăš? MACHIAVELLI. Ma femme a rĂ©ellement beaucoup de tĂÂȘte! se disait, le lendemain Ă six heures du matin, le maire de VerriĂšres, en descendant Ă la scie du pĂšre Sorel. Quoi que je lui aie dit, pour conserver la supĂ©rioritĂ© qui m'appartient, je n'avais pas songĂ© que si je ne prends pas ce petit abbĂ© Sorel, qui, dit-on, sait le latin comme un ange, le directeur du dĂ©pĂÂŽt, cette ĂÂąme sans repos, pourrait bien avoir la mĂÂȘme idĂ©e que moi et me l'enlever. Avec quel ton de suffisance il parlerait du prĂ©cepteur de ses enfants!... Ce prĂ©cepteur, une fois Ă moi, portera-t-il la soutane? M. de RĂÂȘnal Ă©tait absorbĂ© dans ce doute, lorsqu'il vit de loin un paysan, homme de prĂšs de six pieds, qui, dĂšs le petit jour, semblait fort occupĂ© Ă mesurer des piĂšces de bois dĂ©posĂ©es le long du Doubs, sur le chemin de halage. Le paysan n'eut pas l'air fort satisfait de voir approcher M. le maire; car ces piĂšces de bois obstruaient le chemin, et Ă©taient dĂ©posĂ©es lĂ en contravention. Le pĂšre Sorel, car c'Ă©tait lui, fut trĂšs surpris et encore plus content de la singuliĂšre proposition que M. de RĂÂȘnal lui faisait pour son fils Julien. Il ne l'en Ă©couta pas moins avec cet air de tristesse mĂ©contente et de dĂ©sintĂ©rĂÂȘt dont sait si bien se revĂÂȘtir la finesse des habitants de ces montagnes. Esclaves du temps de la domination espagnole, ils conservent encore ce trait de la physionomie du fellah de l'Egypte. La rĂ©ponse de Sorel ne fut d'abord que la longue rĂ©citation de toutes les formules de respect qu'il savait par coeur. Pendant qu'il rĂ©pĂ©tait ces vaines paroles, avec un sourire gauche qui augmentait l'air de faussetĂ© et presque de friponnerie naturel Ă sa physionomie, l'esprit actif du vieux paysan cherchait Ă dĂ©couvrir quelle raison pouvait porter un homme aussi considĂ©rable Ă prendre chez lui son vaurien de fils. Il Ă©tait fort mĂ©content de Julien, et c'Ă©tait pour lui que M. de RĂÂȘnal lui offrait le gage inespĂ©rĂ© de 300 francs par an, avec la nourriture et mĂÂȘme l'habillement. Cette derniĂšre prĂ©tention, que le pĂšre Sorel avait eu le gĂ©nie de mettre en avant subitement, avait Ă©tĂ© accordĂ©e de mĂÂȘme par M. de RĂÂȘnal. Cette demande frappa le maire. Puisque Sorel n'est pas ravi et comblĂ© de ma proposition, comme naturellement il devrait l'ĂÂȘtre, il est clair, se dit-il, qu'on lui a fait des offres d'un autre cĂÂŽtĂ©; et de qui peuvent-elles venir, si ce n'est du Valenod. Ce fut en vain que M. de RĂÂȘnal pressa Sorel de conclure sur-le-champ l'astuce du vieux paysan s'y refusa opiniĂÂątrement; il voulait, disait-il, consulter son fils, comme si, en province, un pĂšre riche consultait un fils qui n'a rien, autrement que pour la forme. Une scie Ă eau se compose d'un hangar au bord d'un ruisseau. Le toit est soutenu par une charpente qui porte sur quatre gros piliers en bois. A huit ou dix pieds d'Ă©lĂ©vation, au milieu du hangar, on voit une scie qui monte et descend, tandis qu'un mĂ©canisme fort simple pousse contre cette scie une piĂšce de bois. C'est une roue mise en mouvement par le ruisseau qui fait aller ce double mĂ©canisme; celui de la scie qui monte et descend, et celui qui pousse doucement la piĂšce de bois vers la scie, qui la dĂ©bite en planches. En approchant de son usine, le pĂšre Sorel appela Julien de sa voix de stentor; personne ne rĂ©pondit. Il ne vit que ses fils aĂnĂ©s, espĂšces de gĂ©ants qui, armĂ©s de lourdes haches, Ă©quarrissaient les troncs de sapin, qu'ils allaient porter Ă la scie. Tout occupĂ©s Ă suivre exactement la marque noire tracĂ©e sur la piĂšce de bois, chaque coup de leur hache en sĂ©parait des copeaux Ă©normes. Ils n'entendirent pas la voix de leur pĂšre. Celui-ci se dirigea vers le hangar; en y entrant, il chercha vainement Julien Ă la place qu'il aurait dĂ» occuper, Ă cĂÂŽtĂ© de la scie. Il l'aperçut Ă cinq ou six pieds plus haut, Ă cheval sur l'une des piĂšces de la toiture. Au lieu de surveiller attentivement l'action de tout le mĂ©canisme, Julien lisait. Rien n'Ă©tait plus antipathique au vieux Sorel; il eĂ»t peut-ĂÂȘtre pardonnĂ© Ă Julien sa taille mince, peu propre aux travaux de force, et si diffĂ©rente de celle de ses aĂnĂ©s; mais cette manie de lecture lui Ă©tait odieuse, il ne savait pas lire lui-mĂÂȘme. Ce fut en vain qu'il appela Julien deux ou trois fois. L'attention que le jeune homme donnait Ă son livre, bien plus que le bruit de la scie, l'empĂÂȘcha d'entendre la terrible voix de son pĂšre. Enfin, malgrĂ© son ĂÂąge, celui-ci sauta lestement sur l'arbre soumis Ă l'action de la scie, et de lĂ sur la poutre transversale qui soutenait le toit. Un coup violent fit voler dans le ruisseau le livre que tenait Julien; un second coup aussi violent, donnĂ© sur la tĂÂȘte, en forme de calotte, lui fit perdre l'Ă©quilibre. Il allait tomber Ă douze ou quinze pieds plus bas, au milieu des leviers de la machine en action, qui l'eussent brisĂ©, mais son pĂšre le retint de la main gauche, comme il tombait - Eh bien, paresseux! tu liras donc toujours tes maudits livres, pendant que tu es de garde Ă la scie? Lis-les le soir, quand tu vas perdre ton temps chez le curĂ©, Ă la bonne heure. Julien, quoique Ă©tourdi par la force du coup, et tout sanglant, se rapprocha de son poste officiel, Ă cĂÂŽtĂ© de la scie. Il avait les larmes aux yeux, moins Ă cause de la douleur physique que pour la perte de son livre qu'il adorait. - Descends, animal, que je te parle. Le bruit de la machine empĂÂȘcha encore Julien d'entendre cet ordre. Son pĂšre qui Ă©tait descendu, ne voulant pas se donner la peine de remonter sur le mĂ©canisme, alla chercher une longue perche pour abattre des noix, et l'en frappa sur l'Ă©paule. A peine Julien fut-il Ă terre, que le vieux Sorel, le chassant rudement devant lui, le poussa vers la maison. Dieu sait ce qu'il va me faire! se disait le jeune homme. En passant, il regarda tristement le ruisseau oĂÂč Ă©tait tombĂ© son livre; c'Ă©tait celui de tous qu'il affectionnait le plus, le MĂ©morial de Sainte-HĂ©lĂšne . Il avait les joues pourpres et les yeux baissĂ©s. C'Ă©tait un petit jeune homme de dix-huit Ă dix-neuf ans, faible en apparence, avec des traits irrĂ©guliers, mais dĂ©licats, et un nez aquilin. De grands yeux noirs, qui, dans les moments tranquilles, annonçaient de la rĂ©flexion et du feu, Ă©taient animĂ©s en cet instant de l'expression de la haine la plus fĂ©roce. Des cheveux chĂÂątain foncĂ©, plantĂ©s fort bas, lui donnaient un petit front, et, dans les moments de colĂšre, un air mĂ©chant. Parmi les innombrables variĂ©tĂ©s de la physionomie humaine, il n'en est peut-ĂÂȘtre point qui se soit distinguĂ©e par une spĂ©cialitĂ© plus saisissante. Une taille svelte et bien prise annonçait plus de lĂ©gĂšretĂ© que de vigueur. DĂšs sa premiĂšre jeunesse, son air extrĂÂȘmement pensif et sa grande pĂÂąleur avaient donnĂ© l'idĂ©e Ă son pĂšre qu'il ne vivrait pas, ou qu'il vivrait pour ĂÂȘtre une charge Ă sa famille. Objet des mĂ©pris de tous Ă la maison, il haĂÂŻssait ses frĂšres et son pĂšre; dans les jeux du dimanche, sur la place publique, il Ă©tait toujours battu. Il n'y avait pas un an que sa jolie figure commençait Ă lui donner quelques voix amies parmi les jeunes filles. MĂ©prisĂ© de tout le monde, comme un ĂÂȘtre faible, Julien avait adorĂ© ce vieux chirurgien-major qui un jour osa parler au maire au sujet des platanes. Ce chirurgien payait quelquefois au pĂšre Sorel la journĂ©e de son fils, et lui enseignait le latin et l'histoire, c'est-Ă -dire ce qu'il savait d'histoire, la campagne de 1796 en Italie. En mourant, il lui avait lĂ©guĂ© sa croix de la LĂ©gion d'honneur, les arrĂ©rages de sa demi-solde et trente ou quarante volumes, dont le plus prĂ©cieux venait de faire le saut dans le ruisseau public , dĂ©tournĂ© par le crĂ©dit de M. le maire. A peine entrĂ© dans la maison, Julien se sentit l'Ă©paule arrĂÂȘtĂ©e par la puissante main de son pĂšre; il tremblait, s'attendant Ă quelques coups. - RĂ©ponds-moi sans mentir, lui cria aux oreilles la voix dure du vieux paysan, tandis que sa main le retournait comme la main d'un enfant retourne un soldat de plomb. Les grands yeux noirs et remplis de larmes de Julien se trouvĂšrent en face des petits yeux gris et mĂ©chants du vieux charpentier, qui avait l'air de vouloir lire jusqu'au fond de son ĂÂąme. CHAPITRE V UNE NEGOCIATION Cunctando restituit rem . ENNIUS. - RĂ©ponds-moi sans mentir, si tu le peux, chien de lisard ; d'oĂÂč connais-tu Mme de RĂÂȘnal, quand lui as-tu parlĂ©? - Je ne lui ai jamais parlĂ©, rĂ©pondit Julien, je n'ai jamais vu cette dame qu'Ă l'Ă©glise. - Mais tu l'auras regardĂ©e, vilain effrontĂ©? - Jamais! Vous savez qu'Ă l'Ă©glise je ne vois que Dieu, ajouta Julien, avec un petit air hypocrite, tout propre, selon lui, Ă Ă©loigner le retour des taloches. - Il y a pourtant quelque chose lĂ -dessous, rĂ©pliqua le paysan malin, et il se tut un instant; mais je ne saurai rien de toi, maudit hypocrite. Au fait, je vais ĂÂȘtre dĂ©livrĂ© de toi, et ma scie n'en ira que mieux. Tu as gagnĂ© M. le curĂ© ou tout autre, qui t'a procurĂ© une belle place. Va faire ton paquet, et je te mĂšnerai chez M. de RĂÂȘnal, oĂÂč tu seras prĂ©cepteur des enfants. - Qu'aurai-je pour cela? - La nourriture, l'habillement et trois cents francs de gages. - Je ne veux pas ĂÂȘtre domestique. - Animal, qui te parle d'ĂÂȘtre domestique, est-ce que je voudrais que mon fils fĂ»t domestique? - Mais, avec qui mangerai-je? Cette demande dĂ©concerta le vieux Sorel, il sentit qu'en parlant il pourrait commettre quelque imprudence; il s'emporta contre Julien, qu'il accabla d'injures, en l'accusant de gourmandise, et le quitta pour aller consulter ses autres fils. Julien les vit bientĂÂŽt aprĂšs, chacun appuyĂ© sur sa hache et tenant conseil. AprĂšs les avoir longtemps regardĂ©s, Julien, voyant qu'il ne pouvait rien deviner, alla se placer de l'autre cĂÂŽtĂ© de la scie, pour Ă©viter d'ĂÂȘtre surpris. Il voulait penser Ă cette annonce imprĂ©vue qui changeait son sort, mais il se sentit incapable de prudence; son imagination Ă©tait tout entiĂšre Ă se figurer ce qu'il verrait dans la belle maison de M. de RĂÂȘnal. Il faut renoncer Ă tout cela, se dit-il, plutĂÂŽt que de se laisser rĂ©duire Ă manger avec les domestiques. Mon pĂšre voudra m'y forcer; plutĂÂŽt mourir. J'ai quinze francs huit sous d'Ă©conomies, je me sauve cette nuit; en deux jours, par des chemins de traverse oĂÂč je ne crains nul gendarme, je suis Ă Besançon; lĂ , je m'engage comme soldat, et, s'il le faut, je passe en Suisse. Mais alors plus d'avancement, plus d'ambition pour moi, plus de ce bel Ă©tat de prĂÂȘtre qui mĂšne Ă tout. Cette horreur pour manger avec les domestiques n'Ă©tait pas naturelle Ă Julien; il eĂ»t fait pour arriver Ă la fortune des choses bien autrement pĂ©nibles. Il puisait cette rĂ©pugnance dans les Confessions de Rousseau. C'Ă©tait le seul livre Ă l'aide duquel son imagination se figurait le monde. Le recueil des bulletins de la Grande ArmĂ©e et le MĂ©morial de Sainte-HĂ©lĂšne complĂ©taient son Coran. Il se serait fait tuer pour ces trois ouvrages. Jamais il ne crut en aucun autre. D'aprĂšs un mot du vieux chirurgien-major, il regardait tous les autres livres du monde comme menteurs, et Ă©crits par des fourbes pour avoir de l'avancement. Avec une ĂÂąme de feu, Julien avait une de ces mĂ©moires Ă©tonnantes si souvent unies Ă la sottise. Pour gagner le vieux curĂ© ChĂ©lan, duquel il voyait bien que dĂ©pendait son sort Ă venir, il avait appris par coeur tout le Nouveau Testament en latin, il savait aussi le livre Du Pape de M. de Maistre, et croyait Ă l'un aussi peu qu'Ă l'autre. Comme par un accord mutuel, Sorel et son fils Ă©vitĂšrent de se parler ce jour-lĂ . Sur la brune, Julien alla prendre sa leçon de thĂ©ologie chez le curĂ©, mais il ne jugea pas prudent de lui rien dire de l'Ă©trange proposition qu'on avait faite Ă son pĂšre. Peut-ĂÂȘtre est-ce un piĂšge, se disait-il, il faut faire semblant de l'avoir oubliĂ©. Le lendemain de bonne heure, M. de RĂÂȘnal fit appeler le vieux Sorel, qui, aprĂšs s'ĂÂȘtre fait attendre une heure ou deux, finit par arriver, en faisant dĂšs la porte cent excuses, entremĂÂȘlĂ©es d'autant de rĂ©vĂ©rences. A force de parcourir toutes sortes d'objections, Sorel comprit que son fils mangerait avec le maĂtre et la maĂtresse de maison, et les jours oĂÂč il y aurait du monde, seul dans une chambre Ă part avec les enfants. Toujours plus disposĂ© Ă incidenter Ă mesure qu'il distinguait un vĂ©ritable empressement chez M. le maire, et d'ailleurs rempli de dĂ©fiance et d'Ă©tonnement, Sorel demanda Ă voir la chambre oĂÂč coucherait son fils. C'Ă©tait une grande piĂšce meublĂ©e fort proprement, mais dans laquelle on Ă©tait dĂ©jĂ occupĂ© Ă transporter les lits des trois enfants. Cette circonstance fut un trait de lumiĂšre pour le vieux paysan; il demanda aussitĂÂŽt avec assurance Ă voir l'habit que l'on donnerait Ă son fils. M. de RĂÂȘnal ouvrit son bureau et prit cent francs. - Avec cet argent, votre fils ira chez M. Durand, le drapier, et lĂšvera un habit noir complet. - Et quand mĂÂȘme je le retirerais de chez vous, dit le paysan, qui avait tout Ă coup oubliĂ© ses formes rĂ©vĂ©rencieuses, cet habit noir lui restera? - Sans doute. - Eh bien! dit Sorel d'un ton de voix traĂnard, il ne reste donc plus qu'Ă nous mettre d'accord sur une seule chose l'argent que vous lui donnerez. - Comment! s'Ă©cria M. de RĂÂȘnal indignĂ©, nous sommes d'accord depuis hier je donne trois cents francs; je crois que c'est beaucoup, et peut-ĂÂȘtre trop. - C'Ă©tait votre offre, je ne le nie point, dit le vieux Sorel, parlant encore plus lentement; et, par un effort de gĂ©nie qui n'Ă©tonnera que ceux qui ne connaissent pas les paysans francs-comtois, il ajouta, en regardant fixement M. de RĂÂȘnal Nous trouvons mieux ailleurs . A ces mots, la figure du maire fut bouleversĂ©e. Il revint cependant Ă lui, et, aprĂšs une conversation savante de deux grandes heures, oĂÂč pas un mot ne fut dit au hasard, la finesse du paysan l'emporta sur la finesse de l'homme riche, qui n'en a pas besoin pour vivre. Tous les nombreux articles qui devaient rĂ©gler la nouvelle existence de Julien se trouvĂšrent arrĂÂȘtĂ©s; non seulement ses appointements furent rĂ©glĂ©s Ă quatre cents francs, mais on dut les payer d'avance, le premier de chaque mois. - Eh bien! je lui remettrai trente-cinq francs, dit M. de RĂÂȘnal. - Pour faire la somme ronde, un homme riche et gĂ©nĂ©reux comme monsieur notre maire, dit le paysan d'une voix cĂÂąline , ira bien jusqu'Ă trente-six francs. - Soit, dit M. de RĂÂȘnal, mais finissons-en. Pour le coup, la colĂšre lui donnait le ton de la fermetĂ©. Le paysan vit qu'il fallait cesser de marcher en avant. Alors, Ă son tour, M. de RĂÂȘnal fit des progrĂšs. Jamais il ne voulut remettre le premier mois de trente-six francs au vieux Sorel, fort empressĂ© de le recevoir pour son fils. M. de RĂÂȘnal vint Ă penser qu'il serait obligĂ© de raconter Ă sa femme le rĂÂŽle qu'il avait jouĂ© dans toute cette nĂ©gociation. - Rendez-moi les cent francs que je vous ai remis, dit-il avec humeur. M. Durand me doit quelque chose. J'irai avec votre fils faire la levĂ©e du drap noir. AprĂšs cet acte de vigueur, Sorel rentra prudemment dans ses formules respectueuses; elles prirent un bon quart d'heure. A la fin, voyant qu'il n'y avait dĂ©cidĂ©ment plus rien Ă gagner, il se retira. Sa derniĂšre rĂ©vĂ©rence finit par ces mots - Je vais envoyer mon fils au chĂÂąteau. C'Ă©tait ainsi que les administrĂ©s de M. le maire appelaient sa maison quand ils voulaient lui plaire. De retour Ă son usine, ce fut en vain que Sorel chercha son fils. Se mĂ©fiant de ce qui pouvait arriver, Julien Ă©tait sorti au milieu de la nuit. Il avait voulu mettre en sĂ»retĂ© ses livres et sa croix de la LĂ©gion d'honneur. Il avait transportĂ© le tout chez un jeune marchand de bois, son ami, nommĂ© FouquĂ©, qui habitait dans la haute montagne qui domine VerriĂšres. Quand il reparut - Dieu sait, maudit paresseux, lui dit son pĂšre, si tu auras jamais assez d'honneur pour me payer le prix de ta nourriture, que j'avance depuis tant d'annĂ©es! Prends tes guenilles, et va-t'en chez M. le maire. Julien, Ă©tonnĂ© de n'ĂÂȘtre pas battu, se hĂÂąta de partir. Mais Ă peine hors de la vue de son terrible pĂšre, il ralentit le pas. Il jugea qu'il serait utile Ă son hypocrisie d'aller faire une station Ă l'Ă©glise. Ce mot vous surprend? Avant d'arriver Ă cet horrible mot, l'ĂÂąme du jeune paysan avait eu bien du chemin Ă parcourir. DĂšs sa premiĂšre enfance, la vue de certains dragons du 6e, aux longs manteaux blancs, et la tĂÂȘte couverte de casques aux longs crins noirs, qui revenaient d'Italie, et que Julien vit attacher leurs chevaux Ă la fenĂÂȘtre grillĂ©e de la maison de son pĂšre, le rendit fou de l'Ă©tat militaire. Plus tard il Ă©coutait avec transport les rĂ©cits des batailles du pont de Lodi, d'Arcole, de Rivoli, que lui faisait le vieux chirurgien-major. Il remarqua les regards enflammĂ©s que le vieillard jetait sur sa croix. Mais lorsque Julien avait quatorze ans, on commença Ă bĂÂątir Ă VerriĂšres une Ă©glise, que l'on peut appeler magnifique pour une aussi petite ville. Il y avait surtout quatre colonnes de marbre dont la vue frappa Julien; elles devinrent cĂ©lĂšbres dans le pays, par la haine mortelle qu'elles suscitĂšrent entre le juge de paix et le jeune vicaire, envoyĂ© de Besançon, qui passait pour ĂÂȘtre l'espion de la congrĂ©gation. Le juge de paix fut sur le point de perdre sa place, du moins telle Ă©tait l'opinion commune. N'avait-il pas osĂ© avoir un diffĂ©rend avec un prĂÂȘtre qui, presque tous les quinze jours, allait Ă Besançon, oĂÂč il voyait, disait-on, Mgr l'Ă©vĂÂȘque? Sur ces entrefaites, le juge de paix, pĂšre d'une nombreuse famille, rendit plusieurs sentences qui semblĂšrent injustes; toutes furent portĂ©es contre ceux des habitants qui lisaient le Constitutionnel . Le bon parti triompha. Il ne s'agissait, il est vrai, que de sommes de trois ou de cinq francs; mais une de ces petites amendes dut ĂÂȘtre payĂ©e par un cloutier, parrain de Julien. Dans sa colĂšre, cet homme s'Ă©criait Ă Quel changement! et dire que, depuis plus de vingt ans, le juge de paix passait pour un si honnĂÂȘte homme! Ă» Le chirurgien-major, ami de Julien, Ă©tait mort. Tout Ă coup Julien cessa de parler de NapolĂ©on; il annonça le projet de se faire prĂÂȘtre, et on le vit constamment, dans la scie de son pĂšre, occupĂ© Ă apprendre par coeur une bible latine que le curĂ© lui avait prĂÂȘtĂ©e. Ce bon vieillard, Ă©merveillĂ© de ses progrĂšs, passait des soirĂ©es entiĂšres Ă lui enseigner la thĂ©ologie. Julien ne faisait paraĂtre devant lui que des sentiments pieux. Qui eĂ»t pu deviner que cette figure de jeune fille, si pĂÂąle et si douce, cachait la rĂ©solution inĂ©branlable de s'exposer Ă mille morts plutĂÂŽt que de ne pas faire fortune! Pour Julien, faire fortune, c'Ă©tait d'abord sortir de VerriĂšres; il abhorrait sa patrie. Tout ce qu'il y voyait glaçait son imagination. DĂšs sa premiĂšre enfance, il avait eu des moments d'exaltation. Alors il songeait avec dĂ©lices qu'un jour il serait prĂ©sentĂ© aux jolies femmes de Paris, il saurait attirer leur attention par quelque action d'Ă©clat. Pourquoi ne serait-il pas aimĂ© de l'une d'elles, comme Bonaparte, pauvre encore, avait Ă©tĂ© aimĂ© de la brillante Mme de Beauharnais? Depuis bien des annĂ©es, Julien ne passait peut-ĂÂȘtre pas une heure de sa vie, sans se dire que Bonaparte, lieutenant obscur et sans fortune, s'Ă©tait fait le maĂtre du monde avec son Ă©pĂ©e. Cette idĂ©e le consolait de ses malheurs qu'il croyait grands, et redoublait sa joie quand il en avait. La construction de l'Ă©glise et les sentences du juge de paix l'Ă©clairĂšrent tout Ă coup; une idĂ©e qui lui vint le rendit comme fou pendant quelques semaines, et enfin s'empara de lui avec la toute-puissance de la premiĂšre idĂ©e qu'une ĂÂąme passionnĂ©e croit avoir inventĂ©e. Ă Quand Bonaparte fit parler de lui, la France avait peur d'ĂÂȘtre envahie; le mĂ©rite militaire Ă©tait nĂ©cessaire et Ă la mode. Aujourd'hui, on voit des prĂÂȘtres de quarante ans avoir cent mille francs d'appointements, c'est-Ă -dire trois fois autant que les fameux gĂ©nĂ©raux de division de NapolĂ©on. Il leur faut des gens qui les secondent. VoilĂ ce juge de paix, si bonne tĂÂȘte, si honnĂÂȘte homme, jusqu'ici, si vieux, qui se dĂ©shonore par crainte de dĂ©plaire Ă un jeune vicaire de trente ans. Il faut ĂÂȘtre prĂÂȘtre. Ă» Une fois, au milieu de sa nouvelle piĂ©tĂ©, il y avait dĂ©jĂ deux ans que Julien Ă©tudiait la thĂ©ologie, il fut trahi par une irruption soudaine du feu qui dĂ©vorait son ĂÂąme. Ce fut chez M. ChĂ©lan, Ă un dĂner de prĂÂȘtres auquel le bon curĂ© l'avait prĂ©sentĂ© comme un prodige d'instruction, il lui arriva de louer NapolĂ©on avec fureur. Il se lia le bras droit contre la poitrine, prĂ©tendit s'ĂÂȘtre disloquĂ© le bras en remuant un tronc de sapin, et le porta pendant deux mois dans cette position gĂÂȘnante. AprĂšs cette peine afflictive, il se pardonna. VoilĂ le jeune homme de dix-neuf ans, mais faible en apparence, et Ă qui l'on en eĂ»t tout au plus donnĂ© dix-sept, qui, portant un petit paquet sous le bras, entrait dans la magnifique Ă©glise de VerriĂšres. Il la trouva sombre et solitaire. A l'occasion d'une fĂÂȘte, toutes les croisĂ©es de l'Ă©difice avaient Ă©tĂ© couvertes d'Ă©toffe cramoisie. Il en rĂ©sultait, aux rayons du soleil, un effet de lumiĂšre Ă©blouissant, du caractĂšre le plus imposant et le plus religieux. Julien tressaillit. Seul, dans l'Ă©glise, il s'Ă©tablit dans le banc qui avait la plus belle apparence. Il portait les armes de M. de RĂÂȘnal. Sur le prie-Dieu, Julien remarqua un morceau de papier imprimĂ©, Ă©talĂ© lĂ comme pour ĂÂȘtre lu. Il y porta les yeux et vit DĂ©tails de l'exĂ©cution et des derniers moments de Louis Jenrel, exĂ©cutĂ© Ă Besançon, le... Le papier Ă©tait dĂ©chirĂ©. Au revers on lisait les deux premiers mots d'une ligne, c'Ă©taient Le premier pas . Qui a pu mettre ce papier lĂ , dit Julien? Pauvre malheureux, ajouta-t-il avec un soupir, son nom finit comme le mien... et il froissa le papier. En sortant, Julien crut voir du sang prĂšs du bĂ©nitier, c'Ă©tait de l'eau bĂ©nite qu'on avait rĂ©pandue le reflet des rideaux rouges qui couvraient les fenĂÂȘtres la faisait paraĂtre du sang. Enfin, Julien eut honte de sa terreur secrĂšte. Serais-je un lĂÂąche? se dit-il, aux armes! Ce mot si souvent rĂ©pĂ©tĂ© dans les rĂ©cits de batailles du vieux chirurgien Ă©tait hĂ©roĂÂŻque pour Julien. Il se leva et marcha rapidement vers la maison de M. de RĂÂȘnal. MalgrĂ© ces belles rĂ©solutions, dĂšs qu'il l'aperçut Ă vingt pas de lui, il fut saisi d'une invincible timiditĂ©. La grille de fer Ă©tait ouverte, elle lui semblait magnifique, il fallait entrer lĂ -dedans. Julien n'Ă©tait pas la seule personne dont le coeur fĂ»t troublĂ© par son arrivĂ©e dans cette maison. L'extrĂÂȘme timiditĂ© de Mme de RĂÂȘnal Ă©tait dĂ©concertĂ©e par l'idĂ©e de cet Ă©tranger, qui, d'aprĂšs ses fonctions, allait se trouver constamment entre elle et ses enfants. Elle Ă©tait accoutumĂ©e Ă avoir ses fils couchĂ©s dans sa chambre. Le matin, bien des larmes avaient coulĂ© quand elle avait vu transporter leurs petits lits dans l'appartement destinĂ© au prĂ©cepteur. Ce fut en vain qu'elle demanda Ă son mari que le lit de Stanislas-Xavier, le plus jeune, fĂ»t reportĂ© dans sa chambre. La dĂ©licatesse de femme Ă©tait poussĂ©e Ă un point excessif chez Mme de RĂÂȘnal. Elle se faisait l'image la plus dĂ©sagrĂ©able d'un ĂÂȘtre grossier et mal peignĂ©, chargĂ© de gronder ses enfants, uniquement parce qu'il savait le latin, un langage barbare pour lequel on fouetterait ses fils. CHAPITRE VI L'ENNUI Non so piĂÂč cosa son, Cosa faccio . MOZART Figaro . Avec la vivacitĂ© et la grĂÂące qui lui Ă©taient naturelles quand elle Ă©tait loin des regards des hommes, Mme de RĂÂȘnal sortait par la porte-fenĂÂȘtre du salon qui donnait sur le jardin, quand elle aperçut prĂšs de la porte d'entrĂ©e la figure d'un jeune paysan presque encore enfant, extrĂÂȘmement pĂÂąle et qui venait de pleurer. Il Ă©tait en chemise bien blanche, et avait sous le bras une veste fort propre de ratine violette. Le teint de ce petit paysan Ă©tait si blanc, ses yeux si doux, que l'esprit un peu romanesque de Mme de RĂÂȘnal eut d'abord l'idĂ©e que ce pouvait ĂÂȘtre une jeune fille dĂ©guisĂ©e, qui venait demander quelque grĂÂące Ă M. le maire. Elle eut pitiĂ© de cette pauvre crĂ©ature, arrĂÂȘtĂ©e Ă la porte d'entrĂ©e, et qui Ă©videmment n'osait pas lever la main jusqu'Ă la sonnette. Mme de RĂÂȘnal s'approcha, distraite un instant de l'amer chagrin que lui donnait l'arrivĂ©e du prĂ©cepteur. Julien, tournĂ© vers la porte, ne la voyait pas s'avancer. Il tressaillit quand une voix douce lui dit tout prĂšs de l'oreille - Que voulez-vous ici, mon enfant? Julien se tourna vivement, et, frappĂ© du regard si rempli de grĂÂące de Mme de RĂÂȘnal, il oublia une partie de sa timiditĂ©. BientĂÂŽt, Ă©tonnĂ© de sa beautĂ©, il oublia tout, mĂÂȘme ce qu'il venait faire. Mme de RĂ©nal avait rĂ©pĂ©tĂ© sa question. - Je viens pour ĂÂȘtre prĂ©cepteur, madame, lui dit-il enfin, tout honteux de ses larmes qu'il essuyait de son mieux. Mme de RĂÂȘnal resta interdite, ils Ă©taient fort prĂšs l'un de l'autre Ă se regarder. Julien n'avait jamais vu un ĂÂȘtre aussi bien vĂÂȘtu et surtout une femme avec un teint si Ă©blouissant, lui parler d'un air doux. Mme de RĂÂȘnal regardait les grosses larmes qui s'Ă©taient arrĂÂȘtĂ©es sur les joues si pĂÂąles d'abord et maintenant si roses de ce jeune paysan. BientĂÂŽt elle se mit Ă rire, avec toute la gaietĂ© folle d'une jeune fille, elle se moquait d'elle-mĂÂȘme et ne pouvait se figurer tout son bonheur. Quoi, c'Ă©tait lĂ ce prĂ©cepteur qu'elle s'Ă©tait figurĂ© comme un prĂÂȘtre sale et mal vĂÂȘtu, qui viendrait gronder et fouetter ses enfants! - Quoi, monsieur, lui dit-elle enfin, vous savez le latin? Ce mot de monsieur Ă©tonna si fort Julien qu'il rĂ©flĂ©chit un instant. - Oui, madame, dit-il timidement. Mme de RĂÂȘnal Ă©tait si heureuse, qu'elle osa dire Ă Julien - Vous ne gronderez pas trop ces pauvres enfants? - Moi, les gronder, dit Julien Ă©tonnĂ©, et pourquoi? - N'est-ce pas, monsieur, ajouta-t-elle aprĂšs un petit silence et d'une voix dont chaque instant augmentait l'Ă©motion, vous serez bon pour eux, vous me le promettez? S'entendre appeler de nouveau monsieur, bien sĂ©rieusement, et par une dame si bien vĂÂȘtue, Ă©tait au-dessus de toutes les prĂ©visions de Julien dans tous les chĂÂąteaux en Espagne de sa jeunesse, il s'Ă©tait dit qu'aucune dame comme il faut ne daignerait lui parler que quand il aurait un bel uniforme. Mme de RĂÂȘnal, de son cĂÂŽtĂ©, Ă©tait complĂštement trompĂ©e par la beautĂ© du teint, les grands yeux noirs de Julien et ses jolis cheveux qui frisaient plus qu'Ă l'ordinaire, parce que pour se rafraĂchir il venait de plonger la tĂÂȘte dans le bassin de la fontaine publique. A sa grande joie, elle trouvait l'air timide d'une jeune fille Ă ce fatal prĂ©cepteur, dont elle avait tant redoutĂ© pour ses enfants la duretĂ© et l'air rĂ©barbatif. Pour l'ĂÂąme si paisible de Mme de RĂÂȘnal, le contraste de ses craintes et de ce qu'elle voyait fut un grand Ă©vĂ©nement. Enfin elle revint de sa surprise. Elle fut Ă©tonnĂ©e de se trouver ainsi Ă la porte de sa maison avec ce jeune homme presque en chemise et si prĂšs de lui. - Entrons, monsieur, lui dit-elle d'un air assez embarrassĂ©. De sa vie une sensation purement agrĂ©able n'avait aussi profondĂ©ment Ă©mu Mme de RĂÂȘnal; jamais une apparition aussi gracieuse n'avait succĂ©dĂ© Ă des craintes plus inquiĂ©tantes. Ainsi ces jolis enfants, si soignĂ©s par elle, ne tomberaient pas dans les mains d'un prĂÂȘtre sale et grognon. A peine entrĂ©e sous le vestibule, elle se retourna vers Julien qui la suivait timidement. Son air Ă©tonnĂ©, Ă l'aspect d'une maison si belle, Ă©tait une grĂÂące de plus aux yeux de Mme de RĂÂȘnal. Elle ne pouvait en croire ses yeux, il lui semblait surtout que le prĂ©cepteur devait avoir un habit noir. - Mais est-il vrai, monsieur, lui dit-elle en s'arrĂÂȘtant encore, et craignant mortellement de se tromper, tant sa croyance la rendait heureuse, vous savez le latin? Ces mots choquĂšrent l'orgueil de Julien et dissipĂšrent le charme dans lequel il vivait depuis un quart d'heure. - Oui, madame, lui dit-il en cherchant Ă prendre un air froid; je sais le latin aussi bien que M. le curĂ©, et mĂÂȘme quelquefois il a la bontĂ© de dire mieux que lui. Mme de RĂÂȘnal trouva que Julien avait l'air fort mĂ©chant, il s'Ă©tait arrĂÂȘtĂ© Ă deux pas d'elle. Elle s'approcha et lui dit Ă mi-voix - N'est-ce pas, les premiers jours, vous ne donnerez pas le fouet Ă mes enfants, mĂÂȘme quand ils ne sauraient pas leurs leçons. Ce ton si doux et presque suppliant d'une si belle dame fit tout Ă coup oublier Ă Julien ce qu'il devait Ă sa rĂ©putation de latiniste. La figure de Mme de RĂÂȘnal Ă©tait prĂšs de la sienne, il sentit le parfum des vĂÂȘtements d'Ă©tĂ© d'une femme, chose si Ă©tonnante pour un pauvre paysan. Julien rougit extrĂÂȘmement et dit avec un soupir et d'une voix dĂ©faillante - Ne craignez rien, madame, je vous obĂ©irai en tout. Ce fut en ce moment seulement, quand son inquiĂ©tude pour ses enfants fut tout Ă fait dissipĂ©e, que Mme de RĂÂȘnal fut frappĂ©e de l'extrĂÂȘme beautĂ© de Julien. La forme presque fĂ©minine de ses traits et son air d'embarras, ne semblĂšrent point ridicules Ă une femme extrĂÂȘmement timide elle-mĂÂȘme. L'air mĂÂąle que l'on trouve communĂ©ment nĂ©cessaire Ă la beautĂ© d'un homme lui eĂ»t fait peur. - Quel ĂÂąge avez-vous, monsieur? dit-elle Ă Julien. - BientĂÂŽt dix-neuf ans. - Mon fils aĂnĂ© a onze ans, reprit Mme de RĂÂȘnal tout Ă fait rassurĂ©e, ce sera presque un camarade pour vous, vous lui parlerez raison. Une fois son pĂšre a voulu le battre, l'enfant a Ă©tĂ© malade pendant toute une semaine, et cependant c'Ă©tait un bien petit coup. Quelle diffĂ©rence avec moi, pensa Julien. Hier encore, mon pĂšre m'a battu. Que ces gens riches sont heureux! Mme de RĂÂȘnal en Ă©tait dĂ©jĂ Ă saisir les moindres nuances de ce qui se passait dans l'ĂÂąme du prĂ©cepteur; elle prit ce mouvement de tristesse pour de la timiditĂ©, et voulut l'encourager. - Quel est votre nom, monsieur? lui dit-elle, avec un accent et une grĂÂące dont Julien sentit tout le charme, sans pouvoir s'en rendre compte. - On m'appelle Julien Sorel, madame; je tremble en entrant pour la premiĂšre fois de ma vie dans une maison Ă©trangĂšre, j'ai besoin de votre protection et que vous me pardonniez bien des choses les premiers jours. Je n'ai jamais Ă©tĂ© au collĂšge, j'Ă©tais trop pauvre; je n'ai jamais parlĂ© Ă d'autres hommes que mon cousin le chirurgien-major, membre de la LĂ©gion d'honneur, et M. le curĂ© ChĂ©lan. Il vous rendra bon tĂ©moignage de moi. Mes frĂšres m'ont toujours battu, ne les croyez pas, s'ils vous disent du mal de moi, pardonnez mes fautes, madame, je n'aurai jamais mauvaise intention. Julien se rassurait pendant ce long discours, il examinait Mme de RĂÂȘnal. Tel est l'effet de la grĂÂące parfaite, quand elle est naturelle au caractĂšre, et que surtout la personne qu'elle dĂ©core ne songe pas Ă avoir de la grĂÂące; Julien, qui se connaissait fort bien en beautĂ© fĂ©minine, eĂ»t jurĂ© dans cet instant qu'elle n'avait que vingt ans. Il eut sur-le-champ l'idĂ©e hardie de lui baiser la main. BientĂÂŽt il eut peur de son idĂ©e; un instant aprĂšs, il se dit Il y aurait de la lĂÂąchetĂ© Ă moi de ne pas exĂ©cuter une action qui peut m'ĂÂȘtre utile, et diminuer le mĂ©pris que cette belle dame a probablement pour un pauvre ouvrier Ă peine arrachĂ© Ă la scie. Peut-ĂÂȘtre Julien fut-il un peu encouragĂ© par ce mot de joli garçon, que depuis six mois il entendait rĂ©pĂ©ter le dimanche par quelques jeunes filles. Pendant ces dĂ©bats intĂ©rieurs, Mme de RĂÂȘnal lui adressait deux ou trois mots d'instruction sur la façon de dĂ©buter avec les enfants. La violence que se faisait Julien le rendit de nouveau fort pĂÂąle; il dit, d'un air contraint - Jamais, madame, je ne battrai vos enfants; je le jure devant Dieu. Et en disant ces mots, il osa prendre la main de Mme de RĂÂȘnal, et la porter Ă ses lĂšvres. Elle fut Ă©tonnĂ©e de ce geste, et, par rĂ©flexion, choquĂ©e. Comme il faisait trĂšs chaud, son bras Ă©tait tout Ă fait nu sous son chĂÂąle, et le mouvement de Julien, en portant la main Ă ses lĂšvres, l'avait entiĂšrement dĂ©couvert. Au bout de quelques instants, elle se gronda elle-mĂÂȘme, il lui sembla qu'elle n'avait pas Ă©tĂ© assez rapidement indignĂ©e. M. de RĂÂȘnal, qui avait entendu parler, sortit de son cabinet; du mĂÂȘme air majestueux et paterne qu'il prenait lorsqu'il faisait des mariages Ă la mairie, il dit Ă Julien - Il est essentiel que je vous parle avant que les enfants ne vous voient. Il fit entrer Julien dans une chambre et retint sa femme qui voulait les laisser seuls. La porte fermĂ©e, M. de RĂÂȘnal s'assit avec gravitĂ©. - M. le curĂ© m'a dit que vous Ă©tiez un bon sujet, tout le monde vous traitera ici avec honneur, et si je suis content, j'aiderai Ă vous faire par la suite un petit Ă©tablissement. Je veux que vous ne voyiez plus ni parents ni amis, leur ton ne peut convenir Ă mes enfants. Voici trente-six francs pour le premier mois; mais j'exige votre parole de ne pas donner un sou de cet argent Ă votre pĂšre. M. de RĂÂȘnal Ă©tait piquĂ© contre le vieillard, qui, dans cette affaire, avait Ă©tĂ© plus fin que lui. - Maintenant, monsieur , car d'aprĂšs mes ordres tout le monde ici va vous appeler monsieur, et vous sentirez l'avantage d'entrer dans une maison de gens comme il faut; maintenant, monsieur, il n'est pas convenable que les enfants vous voient en veste. Les domestiques l'ont-il vu? dit M. de RĂÂȘnal Ă sa femme. - Non, mon ami, rĂ©pondit-elle d'un air profondĂ©ment pensif. - Tant mieux. Mettez ceci, dit-il au jeune homme surpris, en lui donnant une redingote Ă lui. Allons maintenant chez M. Durand, le marchand de drap. Plus d'une heure aprĂšs, quand M. de RĂÂȘnal rentra avec le nouveau prĂ©cepteur tout habillĂ© de noir, il retrouva sa femme assise Ă la mĂÂȘme place. Elle se sentit tranquillisĂ©e par la prĂ©sence de Julien, en l'examinant elle oubliait d'en avoir peur. Julien ne songeait point Ă elle; malgrĂ© toute sa mĂ©fiance du destin et des hommes, son ĂÂąme dans ce moment n'Ă©tait que celle d'un enfant; il lui semblait avoir vĂ©cu des annĂ©es depuis l'instant oĂÂč, trois heures auparavant, il Ă©tait tremblant dans l'Ă©glise. Il remarqua l'air glacĂ© de Mme de RĂÂȘnal, il comprit qu'elle Ă©tait en colĂšre de ce qu'il avait osĂ© lui baiser la main. Mais le sentiment d'orgueil que lui donnait le contact d'habits si diffĂ©rents de ceux qu'il avait coutume de porter, le mettait tellement hors de lui-mĂÂȘme, et il avait tant d'envie de cacher sa joie, que tous ses mouvements avaient quelque chose de brusque et de fou. Mme de RĂÂȘnal le contemplait avec des yeux Ă©tonnĂ©s. - De la gravitĂ©, monsieur, lui dit M. de RĂÂȘnal, si vous voulez ĂÂȘtre respectĂ© de mes enfants et de mes gens. - Monsieur, rĂ©pondit Julien, je suis gĂÂȘnĂ© dans ces nouveaux habits; moi, pauvre paysan, je n'ai jamais portĂ© que des vestes; j'irai, si vous le permettez, me renfermer dans ma chambre. - Que te semble de cette nouvelle acquisition? dit M. de RĂÂȘnal Ă sa femme. Par un mouvement presque instinctif, et dont certainement elle ne se rendit pas compte, Mme de RĂÂȘnal dĂ©guisa la vĂ©ritĂ© Ă son mari. - Je ne suis point aussi enchantĂ©e que vous de ce petit paysan, vos prĂ©venances en feront un impertinent que vous serez obligĂ© de renvoyer avant un mois. - Eh bien! nous le renverrons, ce sera une centaine de francs qu'il pourra m'en coĂ»ter, et VerriĂšres sera accoutumĂ©e Ă voir un prĂ©cepteur aux enfants de M. de RĂÂȘnal. Ce but n'eĂ»t point Ă©tĂ© rempli si j'eusse laissĂ© Ă Julien l'accoutrement d'un ouvrier. En le renvoyant, je retiendrai, bien entendu, l'habit noir complet que je viens de lever chez le drapier. Il ne lui restera que ce que je viens de trouver tout fait chez le tailleur, et dont je l'ai couvert. L'heure que Julien passa dans sa chambre parut un instant Ă Mme de RĂÂȘnal. Les enfants, auxquels l'on avait annoncĂ© le nouveau prĂ©cepteur, accablaient leur mĂšre de questions. Enfin Julien parut. C'Ă©tait un autre homme. C'eĂ»t Ă©tĂ© mal parler que de dire qu'il Ă©tait grave; c'Ă©tait la gravitĂ© incarnĂ©e. Il fut prĂ©sentĂ© aux enfants, et leur parla d'un air qui Ă©tonna M. de RĂÂȘnal lui-mĂÂȘme. - Je suis ici, messieurs, leur dit-il en finissant son allocution, pour vous apprendre le latin. Vous savez ce que c'est que de rĂ©citer une leçon. Voici la sainte Bible, dit-il en leur montrant un petit volume in-32, reliĂ© en noir. C'est particuliĂšrement l'histoire de Notre-Seigneur JĂ©sus-Christ, c'est la partie qu'on appelle le Nouveau Testament. Je vous ferai souvent rĂ©citer des leçons, faites-moi rĂ©citer la mienne. Adolphe, l'aĂnĂ© des enfants, avait pris le livre. - Ouvrez-le au hasard, continua Julien, et dites-moi le premier mot d'un alinĂ©a. Je rĂ©citerai par coeur le livre sacrĂ©, rĂšgle de notre conduite Ă tous, jusqu'Ă ce que vous m'arrĂÂȘtiez. Adolphe ouvrit le livre, lut un mot, et Julien rĂ©cita toute la page, avec la mĂÂȘme facilitĂ© que s'il eĂ»t parlĂ© français. M. de RĂÂȘnal regardait sa femme d'un air de triomphe. Les enfants, voyant l'Ă©tonnement de leurs parents, ouvraient de grands yeux. Un domestique vint Ă la porte du salon, Julien continua de parler latin. Le domestique resta d'abord immobile, et ensuite disparut. BientĂÂŽt la femme de chambre de madame et la cuisiniĂšre arrivĂšrent prĂšs de la porte; alors Adolphe avait dĂ©jĂ ouvert le livre en huit endroits, et Julien rĂ©citait toujours avec la mĂÂȘme facilitĂ©. - Ah! mon Dieu! le joli prĂÂȘtre, dit tout haut la cuisiniĂšre, bonne fille fort dĂ©vote. L'amour-propre de M. de RĂÂȘnal Ă©tait inquiet; loin de songer Ă examiner le prĂ©cepteur, il Ă©tait tout occupĂ© Ă chercher dans sa mĂ©moire quelques mots latins; enfin, il put dire un vers d'Horace. Julien ne savait de latin que sa Bible. Il rĂ©pondit en fronçant le sourcil - Le saint ministĂšre auquel je me destine m'a dĂ©fendu de lire un poĂšte aussi profane. M. de RĂÂȘnal cita un assez grand nombre de prĂ©tendus vers d'Horace. Il expliqua Ă ses enfants ce que c'Ă©tait qu'Horace; mais les enfants, frappĂ©s d'admiration, ne faisaient guĂšre attention Ă ce qu'il disait. Ils regardaient Julien. Les domestiques Ă©tant toujours Ă la porte, Julien crut devoir prolonger l'Ă©preuve - Il faut, dit-il au plus jeune des enfants, que M. Stanislas-Xavier m'indique aussi un passage du livre saint. Le petit Stanislas, tout fier, lut tant bien que mal le premier mot d'un alinĂ©a, et Julien dit toute la page. Pour que rien ne manquĂÂąt au triomphe de M. de RĂÂȘnal, comme Julien rĂ©citait, entrĂšrent M. Valenod, le possesseur des beaux chevaux normands, et M. Charcot de Maugiron, sous-prĂ©fet de l'arrondissement. Cette scĂšne valut Ă Julien le titre de monsieur; les domestiques eux-mĂÂȘmes n'osĂšrent pas le lui refuser. Le soir, tout VerriĂšres afflua chez M. de RĂÂȘnal pour voir la merveille. Julien rĂ©pondait Ă tous d'un air sombre qui tenait Ă distance. Sa gloire s'Ă©tendit si rapidement dans la ville, que peu de jours aprĂšs, M. de RĂÂȘnal, craignant qu'on ne le lui enlevĂÂąt, lui proposa de signer un engagement de deux ans. - Non, monsieur, rĂ©pondit froidement Julien, si vous vouliez me renvoyer je serais obligĂ© de sortir. Un engagement qui me lie sans vous obliger Ă rien n'est point Ă©gal, je le refuse. Julien sut si bien faire que, moins d'un mois aprĂšs son arrivĂ©e dans la maison, M. de RĂÂȘnal lui-mĂÂȘme le respectait. Le curĂ© Ă©tant brouillĂ© avec MM. de RĂÂȘnal et Valenod, personne ne put trahir l'ancienne passion de Julien pour NapolĂ©on, il n'en parlait qu'avec horreur. CHAPITRE VII LES AFFINITES ELECTIVES Ils ne savent toucher le coeur qu'en le froissant . UN MODERNE. Les enfants l'adoraient, lui ne les aimait point; sa pensĂ©e Ă©tait ailleurs. Tout ce que ces marmots pouvaient faire ne l'impatientait jamais. Froid, juste, impassible, et cependant aimĂ©, parce que son arrivĂ©e avait en quelque sorte chassĂ© l'ennui de la maison, il fut un bon prĂ©cepteur. Pour lui, il n'Ă©prouvait que haine et horreur pour la haute sociĂ©tĂ© oĂÂč il Ă©tait admis, Ă la vĂ©ritĂ© au bas bout de la table, ce qui explique peut-ĂÂȘtre la haine et l'horreur. Il y eut certains dĂners d'apparat, oĂÂč il put Ă grande peine contenir sa haine pour tout ce qui l'environnait. Un jour de la Saint-Louis entre autres, M. Valenod tenait le dĂ© chez M. de RĂÂȘnal, Julien fut sur le point de se trahir; il se sauva dans le jardin, sous prĂ©texte de voir les enfants. Quels Ă©loges de la probitĂ©! s'Ă©cria-t-il; on dirait que c'est la seule vertu; et cependant quelle considĂ©ration, quel respect bas pour un homme qui Ă©videmment a doublĂ© et triplĂ© sa fortune, depuis qu'il administre le bien des pauvres! je parierais qu'il gagne mĂÂȘme sur les fonds destinĂ©s aux enfants trouvĂ©s, Ă ces pauvres dont la misĂšre est encore plus sacrĂ©e que celle des autres! Ah! monstres! monstres! Et moi aussi, je suis une sorte d'enfant trouvĂ©, haĂÂŻ de mon pĂšre, de mes frĂšres, de toute ma famille. Quelques jours avant la Saint-Louis, Julien, se promenant seul et disant son brĂ©viaire dans un petit bois, qu'on appelle le BelvĂ©dĂšre, et qui domine le Cours de la FidĂ©litĂ©, avait cherchĂ© en vain Ă Ă©viter ses deux frĂšres, qu'il voyait venir de loin par un sentier solitaire. La jalousie de ces ouvriers grossiers avait Ă©tĂ© tellement provoquĂ©e par le bel habit noir, par l'air extrĂÂȘmement propre de leur frĂšre, par le mĂ©pris sincĂšre qu'il avait pour eux, qu'ils l'avaient battu au point de le laisser Ă©vanoui et tout sanglant. Mme de RĂÂȘnal, se promenant avec M. Valenod et le sous-prĂ©fet, arriva par hasard dans le petit bois; elle vit Julien Ă©tendu sur la terre et le crut mort. Son saisissement fut tel, qu'il donna de la jalousie Ă M. Valenod. Il prenait l'alarme trop tĂÂŽt. Julien trouvait Mme de RĂÂȘnal fort belle, mais il la haĂÂŻssait Ă cause de sa beautĂ©; c'Ă©tait le premier Ă©cueil qui avait failli arrĂÂȘter sa fortune. Il lui parlait le moins possible, afin de faire oublier le transport qui, le premier jour, l'avait portĂ© Ă lui baiser la main. Elisa, la femme de chambre de Mme de RĂÂȘnal, n'avait pas manquĂ© de devenir amoureuse du jeune prĂ©cepteur; elle en parlait souvent Ă sa maĂtresse. L'amour de Mlle Elisa avait valu Ă Julien la haine d'un des valets. Un jour, il entendit cet homme qui disait Ă Elisa Vous ne voulez plus me parler depuis que ce prĂ©cepteur crasseux est entrĂ© dans la maison. Julien ne mĂ©ritait pas cette injure; mais, par instinct de joli garçon, il redoubla de soins pour sa personne. La haine de M. Valenod redoubla aussi. Il dit publiquement que tant de coquetterie ne convenait pas Ă un jeune abbĂ©. A la soutane prĂšs, c'Ă©tait le costume que portait Julien. Mme de RĂÂȘnal remarqua qu'il parlait plus souvent que de coutume Ă Mlle Elisa; elle apprit que ces entretiens Ă©taient causĂ©s par la pĂ©nurie de la trĂšs petite garde-robe de Julien. Il avait si peu de linge, qu'il Ă©tait obligĂ© de le faire laver fort souvent hors de la maison, et c'est pour ces petits soins qu'Elisa lui Ă©tait utile. Cette extrĂÂȘme pauvretĂ©, qu'elle ne soupçonnait pas, toucha Mme de RĂÂȘnal; elle eut envie de lui faire des cadeaux, mais elle n'osa pas; cette rĂ©sistance intĂ©rieure fut le premier sentiment pĂ©nible que lui causa Julien. Jusque-lĂ le nom de Julien et le sentiment d'une joie pure et tout intellectuelle Ă©taient synonymes pour elle. TourmentĂ©e par l'idĂ©e de la pauvretĂ© de Julien, Mme de RĂÂȘnal parla Ă son mari de lui faire un cadeau de linge - Quelle duperie! rĂ©pondit-il. Quoi! faire des cadeaux Ă un homme dont nous sommes parfaitement contents, et qui nous sert bien? ce serait dans le cas oĂÂč il se nĂ©gligerait qu'il faudrait stimuler son zĂšle. Mme de RĂÂȘnal fut humiliĂ©e de cette maniĂšre de voir; elle ne l'eĂ»t pas remarquĂ©e avant l'arrivĂ©e de Julien. Elle ne voyait jamais l'extrĂÂȘme propretĂ© de la mise, d'ailleurs fort simple, du jeune abbĂ©, sans se dire Ce pauvre garçon, comment peut-il faire? Peu Ă peu, elle eut pitiĂ© de tout ce qui manquait Ă Julien, au lieu d'en ĂÂȘtre choquĂ©e. Mme de RĂÂȘnal Ă©tait une de ces femmes de province que l'on peut trĂšs bien prendre pour des sottes pendant les quinze premiers jours qu'on les voit. Elle n'avait aucune expĂ©rience de la vie, et ne se souciait pas de parler. DouĂ©e d'une ĂÂąme dĂ©licate et dĂ©daigneuse, cet instinct de bonheur naturel Ă tous les ĂÂȘtres faisait que, la plupart du temps, elle ne donnait aucune attention aux actions des personnages grossiers au milieu desquels le hasard l'avait jetĂ©e. On l'eĂ»t remarquĂ©e pour le naturel et la vivacitĂ© d'esprit, si elle eĂ»t reçu la moindre Ă©ducation. Mais en sa qualitĂ© d'hĂ©ritiĂšre, elle avait Ă©tĂ© Ă©levĂ©e chez des religieuses adoratrices passionnĂ©es du SacrĂ©-Coeur de JĂ©sus , et animĂ©es d'une haine violente pour les Français ennemis des jĂ©suites. Mme de RĂÂȘnal s'Ă©tait trouvĂ© assez de sens pour oublier bientĂÂŽt, comme absurde, tout ce qu'elle avait appris au couvent; mais elle ne mit rien Ă la place, et finit par ne rien savoir. Les flatteries prĂ©coces dont elle avait Ă©tĂ© l'objet, en sa qualitĂ© d'hĂ©ritiĂšre d'une grande fortune, et un penchant dĂ©cidĂ© Ă la dĂ©votion passionnĂ©e lui avaient donnĂ© une maniĂšre de vivre tout intĂ©rieure. Avec l'apparence de la condescendance la plus parfaite, et d'une abnĂ©gation de volontĂ©, que les maris de VerriĂšres citaient en exemple Ă leurs femmes, et qui faisait l'orgueil de M. de RĂÂȘnal, la conduite habituelle de son ĂÂąme Ă©tait en effet le rĂ©sultat de l'humeur la plus altiĂšre. Telle princesse, citĂ©e Ă cause de son orgueil, prĂÂȘte infiniment plus d'attention Ă ce que ses gentilshommes font autour d'elle, que cette femme si douce, si modeste en apparence, n'en donnait Ă tout ce que disait ou faisait son mari. Jusqu'Ă l'arrivĂ©e de Julien, elle n'avait rĂ©ellement eu d'attention que pour ses enfants. Leurs petites maladies, leurs douleurs, leurs petites joies, occupaient toute la sensibilitĂ© de cette ĂÂąme qui, de la vie, n'avait adorĂ© que Dieu, quand elle Ă©tait au SacrĂ©-Coeur de Besançon. Sans qu'elle daignĂÂąt le dire Ă personne, un accĂšs de fiĂšvre d'un de ses fils la mettait presque dans le mĂÂȘme Ă©tat que si l'enfant eĂ»t Ă©tĂ© mort. Un Ă©clat de rire grossier, un haussement d'Ă©paules, accompagnĂ© de quelque maxime triviale sur la folie des femmes, avaient constamment accueilli les confidences de ce genre de chagrins, que le besoin d'Ă©panchement l'avait portĂ©e Ă faire Ă son mari, dans les premiĂšres annĂ©es de leur mariage. Ces sortes de plaisanteries, quand surtout elles portaient sur les maladies de ses enfants, retournaient le poignard dans le coeur de Mme de RĂÂȘnal. VoilĂ ce qu'elle trouva au lieu des flatteries empressĂ©es et mielleuses du couvent jĂ©suitique oĂÂč elle avait passĂ© sa jeunesse. Son Ă©ducation fut faite par la douleur. Trop fiĂšre pour parler de ce genre de chagrins, mĂÂȘme Ă son amie Mme Derville, elle se figura que tous les hommes Ă©taient comme son mari, M. Valenod et le sous-prĂ©fet Charcot de Maugiron. La grossiĂšretĂ©, et la plus brutale insensibilitĂ© Ă tout ce qui n'Ă©tait pas intĂ©rĂÂȘt d'argent, de prĂ©sĂ©ance ou de croix; la haine aveugle pour tout raisonnement qui les contrariait, lui parurent des choses naturelles Ă ce sexe, comme porter des bottes et un chapeau de feutre. AprĂšs de longues annĂ©es, Mme de RĂÂȘnal n'Ă©tait pas encore accoutumĂ©e Ă ces gens Ă argent au milieu desquels il fallait vivre. De lĂ le succĂšs du petit paysan Julien. Elle trouva des jouissances douces, et toutes brillantes du charme de la nouveautĂ©, dans la sympathie de cette ĂÂąme noble et fiĂšre. Mme de RĂÂȘnal lui eut bientĂÂŽt pardonnĂ© son ignorance extrĂÂȘme qui Ă©tait une grĂÂące de plus, et la rudesse de ses façons qu'elle parvint Ă corriger. Elle trouva qu'il valait la peine de l'Ă©couter, mĂÂȘme quand on parlait des choses les plus communes, mĂÂȘme quand il s'agissait d'un pauvre chien Ă©crasĂ©, comme il traversait la rue, par la charrette d'un paysan allant au trot. Le spectacle de cette douleur donnait son gros rire Ă son mari, tandis qu'elle voyait se contracter les beaux sourcils noirs et si bien arquĂ©s de Julien. La gĂ©nĂ©rositĂ©, la noblesse d'ĂÂąme, l'humanitĂ© lui semblĂšrent peu Ă peu n'exister que chez ce jeune abbĂ©. Elle eut pour lui seul toute la sympathie et mĂÂȘme l'admiration que ces vertus excitent chez les ĂÂąmes bien nĂ©es. A Paris, la position de Julien envers Mme de RĂÂȘnal eĂ»t Ă©tĂ© bien vite simplifiĂ©e; mais Ă Paris, l'amour est fils des romans. Le jeune prĂ©cepteur et sa timide maĂtresse auraient retrouvĂ© dans trois ou quatre romans, et jusque dans les couplets du Gymnase, l'Ă©claircissement de leur position. Les romans leur auraient tracĂ© le rĂÂŽle Ă jouer, montrĂ© le modĂšle Ă imiter; et ce modĂšle, tĂÂŽt ou tard, et quoique sans nul plaisir, et peut-ĂÂȘtre en rechignant, la vanitĂ© eĂ»t forcĂ© Julien Ă le suivre. Dans une petite ville de l'Aveyron ou des PyrĂ©nĂ©es, le moindre incident eĂ»t Ă©tĂ© rendu dĂ©cisif par le feu du climat. Sous nos cieux plus sombres, un jeune homme pauvre, et qui n'est qu'ambitieux parce que la dĂ©licatesse de son coeur lui fait un besoin de quelques-unes des jouissances que donne l'argent, voit tous les jours une femme de trente ans sincĂšrement sage, occupĂ©e de ses enfants, et qui ne prend nullement dans les romans des exemples de conduite. Tout va lentement, tout se fait peu Ă peu dans les provinces, il y a plus de naturel. Souvent, en songeant Ă la pauvretĂ© du jeune prĂ©cepteur, Mme de RĂÂȘnal Ă©tait attendrie jusqu'aux larmes. Julien la surprit un jour, pleurant tout Ă fait. - Eh! madame, vous serait-il arrivĂ© quelque malheur? - Non, mon ami, lui rĂ©pondit-elle; appelez les enfants, allons nous promener. Elle prit son bras et s'appuya d'une façon qui parut singuliĂšre Ă Julien. C'Ă©tait pour la premiĂšre fois qu'elle l'avait appelĂ© mon ami. Vers la fin de la promenade, Julien remarqua qu'elle rougissait beaucoup. Elle ralentit le pas. - On vous aura racontĂ©, dit-elle sans le regarder, que je suis l'unique hĂ©ritiĂšre d'une tante fort riche qui habite Besançon. Elle me comble de prĂ©sents... Mes fils font des progrĂšs... si Ă©tonnants... que je voudrais vous prier d'accepter un petit prĂ©sent comme marque de ma reconnaissance. Il ne s'agit que de quelques louis pour vous faire du linge. Mais... ajouta-t-elle en rougissant encore plus, et elle cessa de parler. - Quoi, madame? dit Julien. - Il serait inutile, continua-t-elle en baissant la tĂÂȘte, de parler de ceci Ă mon mari. - Je suis petit, madame, mais je ne suis pas bas, reprit Julien en s'arrĂÂȘtant, les yeux brillants de colĂšre, et se relevant de toute sa hauteur, c'est Ă quoi vous n'avez pas assez rĂ©flĂ©chi. Je serais moins qu'un valet si je me mettais dans le cas de cacher Ă M. de RĂÂȘnal quoi que ce soit de relatif Ă mon argent. Mme de RĂÂȘnal Ă©tait atterrĂ©e. - M. le maire, continua Julien, m'a remis cinq fois trente-six francs depuis que j'habite sa maison, je suis prĂÂȘt Ă montrer mon livre de dĂ©penses Ă M. de RĂÂȘnal et Ă qui que ce soit, mĂÂȘme Ă M. Valenod qui me hait. A la suite de cette sortie, Mme de RĂÂȘnal Ă©tait restĂ©e pĂÂąle et tremblante, et la promenade se termina sans que ni l'un ni l'autre pĂ»t trouver un prĂ©texte pour renouer le dialogue. L'amour pour Mme de RĂÂȘnal devint de plus en plus impossible dans le coeur orgueilleux de Julien; quant Ă elle, elle le respecta, elle l'admira, elle en avait Ă©tĂ© grondĂ©e. Sous prĂ©texte de rĂ©parer l'humiliation involontaire qu'elle lui avait causĂ©e, elle se permit les soins les plus tendres. La nouveautĂ© de ces maniĂšres fit pendant huit jours le bonheur de Mme de RĂÂȘnal. Leur effet fut d'apaiser en partie la colĂšre de Julien; il Ă©tait loin d'y voir rien qui pĂ»t ressembler Ă un goĂ»t personnel. VoilĂ , se disait-il, comme sont ces gens riches, ils humilient, et croient ensuite pouvoir tout rĂ©parer par quelques singeries! Le coeur de Mme de RĂÂȘnal Ă©tait trop plein, et encore trop innocent, pour que, malgrĂ© ses rĂ©solutions Ă cet Ă©gard, elle ne racontĂÂąt pas Ă son mari l'offre qu'elle avait faite Ă Julien, et la façon dont elle avait Ă©tĂ© repoussĂ©e. - Comment, reprit M. de RĂÂȘnal vivement piquĂ©, avez-vous pu tolĂ©rer un refus de la part d'un domestique ? Et comme Mme de RĂÂȘnal se rĂ©criait sur ce mot - Je parle, madame, comme feu M. le prince de CondĂ©, prĂ©sentant ses chambellans Ă sa nouvelle Ă©pouse Ă Tous ces gens-lĂ , lui dit-il, sont nos domestiques . Ă» Je vous ai lu ce passage des MĂ©moires de Besenval, essentiel pour les prĂ©sĂ©ances. Tout ce qui n'est pas gentilhomme, qui vit chez vous et reçoit un salaire, est votre domestique. Je vais dire deux mots Ă ce monsieur Julien, et lui donner cent francs. - Ah! mon ami, dit Mme de RĂÂȘnal tremblante, que ce ne soit pas du moins devant les domestiques! - Oui, ils pourraient ĂÂȘtre jaloux et avec raison, dit son mari en s'Ă©loignant et pensant Ă la quotitĂ© de la somme. Mme de RĂÂȘnal tomba sur une chaise, presque Ă©vanouie de douleur! Il va humilier Julien, et par ma faute! Elle eut horreur de son mari, et se cacha la figure avec les mains. Elle se promit bien de ne jamais faire de confidences. Lorsqu'elle revit Julien, elle Ă©tait toute tremblante, sa poitrine Ă©tait tellement contractĂ©e qu'elle ne put parvenir Ă prononcer la moindre parole. Dans son embarras elle lui prit les mains qu'elle serra. - Eh bien! mon ami, lui dit-elle enfin, ĂÂȘtes-vous content de mon mari? - Comment ne le serais-je pas? rĂ©pondit Julien avec un sourire amer; il m'a donnĂ© cent francs. Mme de RĂÂȘnal le regarda comme incertaine. - Donnez-moi le bras, dit-elle enfin avec un accent de courage que Julien ne lui avait jamais vu. Elle osa aller jusque chez le libraire de VerriĂšres, malgrĂ© son affreuse rĂ©putation de libĂ©ralisme. LĂ , elle choisit pour dix louis de livres qu'elle donna Ă ses fils. Mais ces livres Ă©taient ceux qu'elle savait que Julien dĂ©sirait. Elle exigea que lĂ , dans la boutique du libraire, chacun des enfants Ă©crivĂt son nom sur les livres qui lui Ă©taient Ă©chus en partage. Pendant que Mme de RĂÂȘnal Ă©tait heureuse de la sorte de rĂ©paration qu'elle avait l'audace de faire Ă Julien, celui-ci Ă©tait Ă©tonnĂ© de la quantitĂ© de livres qu'il apercevait chez le libraire. Jamais il n'avait osĂ© entrer en un lieu aussi profane; son coeur palpitait. Loin de songer Ă deviner ce qui se passait dans le coeur de Mme de RĂÂȘnal, il rĂÂȘvait profondĂ©ment au moyen qu'il y aurait, pour un jeune Ă©tudiant en thĂ©ologie, de se procurer quelques-uns de ces livres. Enfin il eut l'idĂ©e qu'il serait possible avec de l'adresse de persuader Ă M. de RĂÂȘnal qu'il fallait donner pour sujet de thĂšme Ă ses fils l'histoire des gentilshommes cĂ©lĂšbres nĂ©s dans la province. AprĂšs un mois de soins, Julien vit rĂ©ussir cette idĂ©e, et Ă un tel point que, quelque temps aprĂšs, il osa hasarder, en parlant Ă M. de RĂÂȘnal, la mention d'une action bien autrement pĂ©nible pour le noble maire; il s'agissait de contribuer Ă la fortune d'un libĂ©ral, en prenant un abonnement chez le libraire. M. de RĂÂȘnal convenait bien qu'il Ă©tait sage de donner Ă son fils aĂnĂ© l'idĂ©e de visu de plusieurs ouvrages qu'il entendrait mentionner dans la conversation, lorsqu'il serait Ă l'Ecole militaire, mais Julien voyait M. le maire s'obstiner Ă ne pas aller plus loin. Il soupçonnait une raison secrĂšte, mais ne pouvait la deviner. - Je pensais, monsieur, lui dit-il un jour, qu'il y aurait une haute inconvenance Ă ce que le nom d'un bon gentilhomme tel qu'un RĂÂȘnal parĂ»t sur le sale registre du libraire. Le front de M. de RĂÂȘnal s'Ă©claircit. - Ce serait aussi une bien mauvaise note, continua Julien, d'un ton plus humble, pour un pauvre Ă©tudiant en thĂ©ologie, si l'on pouvait un jour dĂ©couvrir que son nom a Ă©tĂ© sur le registre d'un libraire loueur de livres. Les libĂ©raux pourraient m'accuser d'avoir demandĂ© les livres les plus infĂÂąmes; qui sait mĂÂȘme s'ils n'iraient pas jusqu'Ă Ă©crire aprĂšs mon nom les titres de ces livres pervers? Mais Julien s'Ă©loignait de la trace. Il voyait la physionomie du maire reprendre l'expression de l'embarras et de l'humeur. Julien se tut. Je tiens mon homme, se dit-il. Quelques jours aprĂšs, l'aĂnĂ© des enfants interrogeant Julien sur un livre annoncĂ© dans La Quotidienne , en prĂ©sence de M. de RĂÂȘnal - Pour Ă©viter tout sujet de triomphe au parti jacobin, dit le jeune prĂ©cepteur, et cependant me donner les moyens de rĂ©pondre Ă M. Adolphe, on pourrait faire prendre un abonnement chez le libraire par le dernier de vos gens. - VoilĂ une idĂ©e qui n'est pas mal, dit M. de RĂÂȘnal Ă©videmment fort joyeux. - Toutefois il faudrait spĂ©cifier, dit Julien, de cet air grave et presque malheureux qui va si bien Ă de certaines gens, quand ils voient le succĂšs des affaires qu'ils ont le plus longtemps dĂ©sirĂ©es, il faudrait spĂ©cifier que le domestique ne pourra prendre aucun roman. Une fois dans la maison, ces livres dangereux pourraient corrompre les filles de madame, et le domestique lui-mĂÂȘme. - Vous oubliez les pamphlets politiques, ajouta M. de RĂÂȘnal, d'un air hautain. Il voulait cacher l'admiration que lui donnait le savant mezzo-termine inventĂ© par le prĂ©cepteur de ses enfants. La vie de Julien se composait ainsi d'une suite de petites nĂ©gociations; et leur succĂšs l'occupait beaucoup plus que le sentiment de prĂ©fĂ©rence marquĂ©e qu'il n'eĂ»t tenu qu'Ă lui de lire dans le coeur de Mme de RĂÂȘnal. La position morale oĂÂč il avait Ă©tĂ© toute sa vie se renouvelait chez M. le maire de VerriĂšres. LĂ , comme Ă la scierie de son pĂšre, il mĂ©prisait profondĂ©ment les gens avec qui il vivait et en Ă©tait haĂÂŻ. Il voyait chaque jour dans les rĂ©cits faits par le sous-prĂ©fet, par M. Valenod, par les autres amis de la maison, Ă l'occasion de choses qui venaient de se passer sous leurs yeux, combien leurs idĂ©es ressemblaient peu Ă la rĂ©alitĂ©. Une action lui semblait-elle admirable, c'Ă©tait celle-lĂ prĂ©cisĂ©ment qui attirait le blĂÂąme des gens qui l'environnaient. Sa rĂ©plique intĂ©rieure Ă©tait toujours Quels monstres ou quels sots! Le plaisant, avec tant d'orgueil, c'est que souvent il ne comprenait absolument rien Ă ce dont on parlait. De la vie, il n'avait parlĂ© avec sincĂ©ritĂ© qu'au vieux chirurgien-major; le peu d'idĂ©es qu'il avait Ă©taient relatives aux campagnes de Bonaparte en Italie, ou Ă la chirurgie. Son jeune courage se plaisait au rĂ©cit circonstanciĂ© des opĂ©rations les plus douloureuses; il se disait Je n'aurais pas sourcillĂ©. La premiĂšre fois que Mme de RĂÂȘnal essaya avec lui une conversation Ă©trangĂšre Ă l'Ă©ducation des enfants, il se mit Ă parler d'opĂ©rations chirurgicales; elle pĂÂąlit et le pria de cesser. Julien ne savait rien au-delĂ . Ainsi, passant sa vie avec Mme de RĂÂȘnal, le silence le plus singulier s'Ă©tablissait entre eux dĂšs qu'ils Ă©taient seuls. Dans le salon, quelle que fĂ»t l'humilitĂ© de son maintien, elle trouvait dans ses yeux un air de supĂ©rioritĂ© intellectuelle envers tout ce qui venait chez elle. Se trouvait-elle seule un instant avec lui, elle le voyait visiblement embarrassĂ©. Elle en Ă©tait inquiĂšte, car son instinct de femme lui faisait comprendre que cet embarras n'Ă©tait nullement tendre. D'aprĂšs je ne sais quelle idĂ©e prise dans quelque rĂ©cit de la bonne sociĂ©tĂ©, telle que l'avait vue le vieux chirurgien-major, dĂšs qu'on se taisait dans un lieu oĂÂč il se trouvait avec une femme, Julien se sentait humiliĂ©, comme si ce silence eĂ»t Ă©tĂ© son tort particulier. Cette sensation Ă©tait cent fois plus pĂ©nible dans le tĂÂȘte-Ă -tĂÂȘte. Son imagination remplie des notions les plus exagĂ©rĂ©es, les plus espagnoles, sur ce qu'un homme doit dire, quand il est seul avec une femme, ne lui offrait dans son trouble que des idĂ©es inadmissibles. Son ĂÂąme Ă©tait dans les nues, et cependant il ne pouvait sortir du silence le plus humiliant. Ainsi son air sĂ©vĂšre, pendant ses longues promenades avec Mme de RĂÂȘnal et les enfants, Ă©tait augmentĂ© par les souffrances les plus cruelles. Il se mĂ©prisait horriblement. Si par malheur il se forçait Ă parler, il lui arrivait de dire les choses les plus ridicules. Pour comble de misĂšre, il voyait et s'exagĂ©rait son absurditĂ©; mais ce qu'il ne voyait pas, c'Ă©tait l'expression de ses yeux; ils Ă©taient si beaux et annonçaient une ĂÂąme si ardente, que, semblables aux bons acteurs, ils donnaient quelquefois un sens charmant Ă ce qui n'en avait pas. Mme de RĂÂȘnal remarqua que, seul avec elle, il n'arrivait jamais Ă dire quelque chose de bien que lorsque, distrait par quelque Ă©vĂ©nement imprĂ©vu, il ne songeait pas Ă bien tourner un compliment. Comme les amis de la maison ne la gĂÂątaient pas en lui prĂ©sentant des idĂ©es nouvelles et brillantes, elle jouissait avec dĂ©lices des Ă©clairs d'esprit de Julien. Depuis la chute de NapolĂ©on, toute apparence de galanterie est sĂ©vĂšrement bannie des moeurs de la province. On a peur d'ĂÂȘtre destituĂ©. Les fripons cherchent un appui dans la congrĂ©gation; et l'hypocrisie a fait les plus beaux progrĂšs mĂÂȘme dans les classes libĂ©rales. L'ennui redouble. Il ne reste d'autre plaisir que la lecture et l'agriculture. Mme de RĂÂȘnal, riche hĂ©ritiĂšre d'une tante dĂ©vote, mariĂ©e Ă seize ans Ă un bon gentilhomme, n'avait de sa vie Ă©prouvĂ© ni vu rien qui ressemblĂÂąt le moins du monde Ă l'amour. Ce n'Ă©tait guĂšre que son confesseur, le bon curĂ© ChĂ©lan, qui lui avait parlĂ© de l'amour, Ă propos des poursuites de M. Valenod, et il lui en avait fait une image si dĂ©goĂ»tante, que ce mot ne lui reprĂ©sentait que l'idĂ©e du libertinage le plus abject. Elle regardait comme une exception, ou mĂÂȘme comme tout Ă fait hors de nature, l'amour tel qu'elle l'avait trouvĂ© dans le trĂšs petit nombre de romans que le hasard avait mis sous ses yeux. GrĂÂące Ă cette ignorance, Mme de RĂÂȘnal, parfaitement heureuse, occupĂ©e sans cesse de Julien, Ă©tait loin de se faire le plus petit reproche. CHAPITRE VIII PETITS EVENEMENTS Then there were sighs, the deeper for suppression, And stolen glances, sweeter for the theft, And burning blushes, though for no transgression . Don Juan C. 1, st. 74. L'angĂ©lique douceur que Mme de RĂÂȘnal devait Ă son caractĂšre et Ă son bonheur actuel n'Ă©tait un peu altĂ©rĂ©e que quand elle venait Ă songer Ă sa femme de chambre Elisa. Cette fille fit un hĂ©ritage, alla se confesser au curĂ© ChĂ©lan et lui avoua le projet d'Ă©pouser Julien. Le curĂ© eut une vĂ©ritable joie du bonheur de son ami; mais sa surprise fut extrĂÂȘme, quand Julien lui dit d'un air rĂ©solu que l'offre de Mlle Elisa ne pouvait lui convenir. - Prenez garde, mon enfant, Ă ce qui se passe dans votre coeur, dit le curĂ© fronçant le sourcil; jevous fĂ©licite de votre vocation, si c'est Ă elle seule que vous devez le mĂ©pris d'une fortune plus que suffisante. Il y a cinquante-six ans sonnĂ©s que je suis curĂ© de VerriĂšres, et cependant, suivant toute apparence, je vais ĂÂȘtre destituĂ©. Ceci m'afflige, et toutefois j'ai huit cents livres de rente. Je vous fais part de ce dĂ©tail afin que vous ne vous fassiez pas d'illusions sur ce qui vous attend dans l'Ă©tat de prĂÂȘtre. Si vous songez Ă faire la cour aux hommes qui ont la puissance, votre perte Ă©ternelle est assurĂ©e. Vous pourrez faire fortune, mais il faudra nuire aux misĂ©rables, flatter le sous-prĂ©fet, le maire, l'homme considĂ©rĂ©, et servir ses passions cette conduite, qui dans le monde s'appelle savoir vivre, peut, pour un laĂÂŻque, n'ĂÂȘtre pas absolument incompatible avec le salut; mais, dans notre Ă©tat, il faut opter; il s'agit de faire fortune dans ce monde ou dans l'autre, il n'y a pas de milieu. Allez, mon cher ami, rĂ©flĂ©chissez, et revenez dans trois jours me rendre une rĂ©ponse dĂ©finitive. J'entrevois avec peine, au fond de votre caractĂšre, une ardeur sombre qui ne m'annonce pas la modĂ©ration et la parfaite abnĂ©gation des avantages terrestres nĂ©cessaires Ă un prĂÂȘtre; j'augure bien de votre esprit; mais, permettez-moi de vous le dire, ajouta le bon curĂ©, les larmes aux yeux, dans l'Ă©tat de prĂÂȘtre, je tremblerai pour votre salut. Julien avait honte de son Ă©motion; pour la premiĂšre fois de sa vie, il se voyait aimĂ©; il pleurait avec dĂ©lices, et alla cacher ses larmes dans les grands bois au-dessus de VerriĂšres. Pourquoi l'Ă©tat oĂÂč je me trouve? se dit-il enfin; je sens que je donnerais cent fois ma vie pour ce bon curĂ© ChĂ©lan, et cependant il vient de me prouver que je ne suis qu'un sot. C'est lui surtout qu'il m'importe de tromper, et il me devine. Cette ardeur secrĂšte dont il me parle, c'est mon projet de faire fortune. Il me croit indigne d'ĂÂȘtre prĂÂȘtre, et cela prĂ©cisĂ©ment quand je me figurais que le sacrifice de cinquante louis de rente allait lui donner la plus haute idĂ©e de ma piĂ©tĂ© et de ma vocation. A l'avenir, continua Julien, je ne compterai que sur les parties de mon caractĂšre que j'aurai Ă©prouvĂ©es. Qui m'eĂ»t dit que je trouverais du plaisir Ă rĂ©pandre des larmes! que j'aimerais celui qui me prouve que je ne suis qu'un sot! Trois jours aprĂšs, Julien avait trouvĂ© le prĂ©texte dont il eĂ»t dĂ» se munir dĂšs le premier jour; ce prĂ©texte Ă©tait une calomnie, mais qu'importe? Il avoua au curĂ©, avec beaucoup d'hĂ©sitation, qu'une raison qu'il ne pouvait lui expliquer parce qu'elle nuirait Ă un tiers, l'avait dĂ©tournĂ© tout d'abord de l'union projetĂ©e. C'Ă©tait accuser la conduite d'Elisa. M. ChĂ©lan trouva dans ses maniĂšres un certain feu tout mondain, bien diffĂ©rent de celui qui eĂ»t dĂ» animer un jeune lĂ©vite. - Mon ami, lui dit-il encore, soyez un bon bourgeois de campagne, estimable et instruit, plutĂÂŽt qu'un prĂÂȘtre sans vocation. Julien rĂ©pondit Ă ces nouvelles remontrances, fort bien, quant aux paroles il trouvait les mots qu'eĂ»t employĂ©s un jeune sĂ©minariste fervent; mais le ton dont il les prononçait, mais le feu mal cachĂ© qui Ă©clatait dans ses yeux alarmaient M. ChĂ©lan. Il ne faut pas trop mal augurer de Julien; il inventait correctement les paroles d'une hypocrisie cauteleuse et prudente. Ce n'est pas mal Ă son ĂÂąge. Quant au ton et aux gestes, il vivait avec des campagnards; il avait Ă©tĂ© privĂ© de la vue des grands modĂšles. Par la suite, Ă peine lui eut-il Ă©tĂ© donnĂ© d'approcher de ces messieurs, qu'il fut admirable pour les gestes comme pour les paroles. Mme de RĂÂȘnal fut Ă©tonnĂ©e que la nouvelle fortune de sa femme de chambre ne rendĂt pas cette fille plus heureuse; elle la voyait aller sans cesse chez le curĂ©, et en revenir les larmes aux yeux; enfin Elisa lui parla de son mariage. Mme de RĂÂȘnal se crut malade; une sorte de fiĂšvre l'empĂÂȘchait de trouver le sommeil; elle ne vivait que lorsqu'elle avait sous les yeux sa femme de chambre ou Julien. Elle ne pouvait penser qu'Ă eux et au bonheur qu'ils trouveraient dans leur mĂ©nage. La pauvretĂ© de cette petite maison, oĂÂč l'on devrait vivre avec cinquante louis de rente, se peignait Ă elle sous des couleurs ravissantes. Julien pourrait trĂšs bien se faire avocat Ă Bray, la sous-prĂ©fecture Ă deux lieues de VerriĂšres; dans ce cas elle le verrait quelquefois. Mme de RĂÂȘnal crut sincĂšrement qu'elle allait devenir folle; elle le dit Ă son mari, et enfin tomba malade. Le soir mĂÂȘme, comme sa femme de chambre la servait, elle remarqua que cette fille pleurait. Elle abhorrait Elisa dans ce moment, et venait de la brusquer; elle lui en demanda pardon. Les larmes d'Elisa redoublĂšrent; elle lui dit que si sa maĂtresse le lui permettait, elle lui conterait tout son malheur. - Dites, rĂ©pondit Mme de RĂÂȘnal. - Eh bien, madame, il me refuse; des mĂ©chants lui auront dit du mal de moi, il les croit. - Qui vous refuse? dit Mme de RĂÂȘnal respirant Ă peine. - Eh qui, madame, si ce n'est M. Julien? rĂ©pliqua la femme de chambre en sanglotant. M. le curĂ© n'a pu vaincre sa rĂ©sistance; car M. le curĂ© trouve qu'il ne doit pas refuser une honnĂÂȘte fille, sous prĂ©texte qu'elle a Ă©tĂ© femme de chambre. AprĂšs tout, le pĂšre de M. Julien n'est autre chose qu'un charpentier; lui-mĂÂȘme comment gagnait-il sa vie avant d'ĂÂȘtre chez madame? Mme de RĂÂȘnal n'Ă©coutait plus; l'excĂšs du bonheur lui avait presque ĂÂŽtĂ© l'usage de la raison. Elle se fit rĂ©pĂ©ter plusieurs fois l'assurance que Julien avait refusĂ© d'une façon positive, et qui ne permettait plus de revenir Ă une rĂ©solution plus sage. - Je veux tenter un dernier effort, dit-elle Ă sa femme de chambre, je parlerai Ă M. Julien. Le lendemain aprĂšs le dĂ©jeuner, Mme de RĂÂȘnal se donna la dĂ©licieuse voluptĂ© de plaider la cause de sa rivale, et de voir la main et la fortune d'Elisa refusĂ©es constamment pendant une heure. Peu Ă peu Julien sortit de ses rĂ©ponses compassĂ©es, et finit par rĂ©pondre avec esprit aux sages reprĂ©sentations de Mme de RĂÂȘnal. Elle ne put rĂ©sister au torrent de bonheur qui inondait son ĂÂąme aprĂšs tant de jours de dĂ©sespoir. Elle se trouva mal tout Ă fait. Quand elle fut remise et bien Ă©tablie dans sa chambre, elle renvoya tout le monde. Elle Ă©tait profondĂ©ment Ă©tonnĂ©e. Aurais-je de l'amour pour Julien? se dit-elle enfin. Cette dĂ©couverte, qui dans tout autre moment l'aurait plongĂ©e dans les remords et dans une agitation profonde, ne fut pour elle qu'un spectacle singulier, mais comme indiffĂ©rent. Son ĂÂąme, Ă©puisĂ©e par tout ce qu'elle venait d'Ă©prouver, n'avait plus de sensibilitĂ© au service des passions. Mme de RĂÂȘnal voulut travailler, et tomba dans un profond sommeil; quand elle se rĂ©veilla, elle ne s'effraya pas autant qu'elle l'aurait dĂ». Elle Ă©tait trop heureuse pour pouvoir prendre en mal quelque chose. NaĂÂŻve et innocente, jamais cette bonne provinciale n'avait torturĂ© son ĂÂąme, pour tĂÂącher d'en arracher un peu de sensibilitĂ© Ă quelque nouvelle nuance de sentiment ou de malheur. EntiĂšrement absorbĂ©e, avant l'arrivĂ©e de Julien, par cette masse de travail qui, loin de Paris, est le lot d'une bonne mĂšre de famille, Mme de RĂÂȘnal pensait aux passions, comme nous pensons Ă la loterie duperie certaine et bonheur cherchĂ© par des fous. La cloche du dĂner sonna; Mme de RĂÂȘnal rougit beaucoup quand elle entendit la voix de Julien, qui amenait les enfants. Un peu adroite depuis qu'elle aimait, pour expliquer sa rougeur, elle se plaignit d'un affreux mal de tĂÂȘte. - VoilĂ comme sont toutes les femmes, lui rĂ©pondit M. de RĂÂȘnal, avec un gros rire. Il y a toujours quelque chose Ă raccommoder Ă ces machines-lĂ ! Quoique accoutumĂ©e Ă ce genre d'esprit, ce ton de voix choqua Mme de RĂÂȘnal. Pour se distraire, elle regarda la physionomie de Julien; il eĂ»t Ă©tĂ© l'homme le plus laid, que dans cet instant il lui eĂ»t plu. Attentif Ă copier les habitudes des gens de cour, dĂšs les premiers beaux jours du printemps, M. de RĂÂȘnal s'Ă©tablit Ă Vergy; c'est le village rendu cĂ©lĂšbre par l'aventure tragique de Gabrielle. A quelques centaines de pas des ruines si pittoresques de l'ancienne Ă©glise gothique, M. de RĂÂȘnal possĂšde un vieux chĂÂąteau avec ses quatre tours, et un jardin dessinĂ© comme celui des Tuileries, avec force bordures de buis et allĂ©es de marronniers taillĂ©sdeux fois par an. Un champ voisin, plantĂ© de pommiers servait de promenade. Huit ou dix noyers magnifiques Ă©taient au bout du verger; leur feuillage immense s'Ă©levait peut-ĂÂȘtre Ă quatre-vingts pieds de hauteur. Chacun de ces maudits noyers, disait M. de RĂÂȘnal quand sa femme les admirait, me coĂ»te la rĂ©colte d'un demi-arpent, le blĂ© ne peut venir sous leur ombre. La vue de la campagne sembla nouvelle Ă Mme de RĂÂȘnal; son admiration allait jusqu'aux transports. Le sentiment dont elle Ă©tait animĂ©e lui donnait de l'esprit et de la rĂ©solution. DĂšs le surlendemain de l'arrivĂ©e Ă Vergy, M. de RĂÂȘnal Ă©tant retournĂ© Ă la ville, pour les affaires de la mairie, Mme de RĂÂȘnal prit des ouvriers Ă ses frais. Julien lui avait donnĂ© l'idĂ©e d'un petit chemin sablĂ©, qui circulerait dans le verger et sous les grands noyers, et permettrait aux enfants de se promener dĂšs le matin, sans que leurs souliers fussent mouillĂ©s par la rosĂ©e. Cette idĂ©e fut mise Ă exĂ©cution moins de vingt-quatre heures aprĂšs avoir Ă©tĂ© conçue. Mme de RĂÂȘnal passa toute la journĂ©e gaiement avec Julien Ă diriger les ouvriers. Lorsque le maire de VerriĂšres revint de la ville, il fut bien surpris de trouver l'allĂ©e faite. Son arrivĂ©e surprit aussi Mme de RĂÂȘnal; elle avait oubliĂ© son existence. Pendant deux mois, il parla avec humeur de la hardiesse qu'on avait eue de faire, sans le consulter, une rĂ©paration aussi importante, mais Mme de RĂÂȘnal l'avait exĂ©cutĂ©e Ă ses frais, ce qui le consolait un peu. Elle passait ses journĂ©es Ă courir avec ses enfants dans le verger, et Ă faire la chasse aux papillons. On avait construit de grands capuchons de gaze claire, avec lesquels on prenait les pauvres lĂ©pidoptĂšres . C'est le nom barbare que Julien apprenait Ă Mme de RĂÂȘnal. Car elle avait fait venir de Besançon le bel ouvrage de M. Godart; et Julien lui racontait les moeurs singuliĂšres de ces pauvres bĂÂȘtes. On les piquait sans pitiĂ© avec des Ă©pingles dans un grand cadre de carton arrangĂ© aussi par Julien. Il y eut enfin entre Mme de RĂÂȘnal et Julien un sujet de conversation, il ne fut plus exposĂ© Ă l'affreux supplice que lui donnaient les moments de silence. Ils se parlaient sans cesse, et avec un intĂ©rĂÂȘt extrĂÂȘme, quoique toujours de choses fort innocentes. Cette vie active, occupĂ©e et gaie, Ă©tait du goĂ»t de tout le monde, exceptĂ© de Mlle Elisa, qui se trouvait excĂ©dĂ©e de travail. Jamais dans le carnaval, disait-elle, quand il y a bal Ă VerriĂšres, madame ne s'est donnĂ© tant de soins pour sa toilette; elle change de robes deux ou trois fois par jour. Comme notre intention est de ne flatter personne, nous ne nierons point que Mme de RĂÂȘnal, qui avait une peau superbe, ne se fĂt arranger des robes qui laissaient les bras et la poitrine fort dĂ©couverts. Elle Ă©tait trĂšs bien faite, et cette maniĂšre de se mettre lui allait Ă ravir. - Jamais vous n'avez Ă©tĂ© si jeune , madame, lui disaient ses amis de VerriĂšres qui venaient dĂner Ă Vergy. C'est une façon de parler du pays. Une chose singuliĂšre, qui trouvera peu de croyance parmi nous, c'Ă©tait sans intention directe que Mme de RĂÂȘnal se livrait Ă tant de soins. Elle y trouvait du plaisir; et, sans y songer autrement, tout le temps qu'elle ne passait pas Ă la chasse aux papillons avec les enfants et Julien, elle travaillait avec Elisa Ă bĂÂątir des robes. Sa seule course Ă VerriĂšres fut causĂ©e par l'envie d'acheter de nouvelles robes d'Ă©tĂ© qu'on venait d'apporter de Mulhouse. Elle ramena Ă Vergy une jeune femme de ses parentes. Depuis son mariage, Mme de RĂÂȘnal s'Ă©tait liĂ©e insensiblement avec Mme Derville qui autrefois avait Ă©tĂ© sa compagne au SacrĂ©-Coeur . Mme Derville riait beaucoup de ce qu'elle appelait les idĂ©es folles de sa cousine seule, jamais je n'y penserais, disait-elle. Ces idĂ©es imprĂ©vues qu'on eĂ»t appelĂ©es saillies Ă Paris, Mme de RĂÂȘnal en avait honte comme d'une sottise, quand elle Ă©tait avec son mari; mais la prĂ©sence de Mme Derville lui donnait du courage. Elle lui disait d'abord ses pensĂ©es d'une voix timide; quand ces dames Ă©taient longtemps seules, l'esprit de Mme de RĂÂȘnal s'animait, et une longue matinĂ©e solitaire passait comme un instant et laissait les deux amies fort gaies. A ce voyage la raisonnable Mme Derville trouva sa cousine beaucoup moins gaie et beaucoup plus heureuse. Julien, de son cĂÂŽtĂ©, avait vĂ©cu en vĂ©ritable enfant depuis son sĂ©jour Ă la campagne, aussi heureux de courir Ă la suite des papillons que ses Ă©lĂšves. AprĂšs tant de contrainte et de politique habile, seul, loin des regards des hommes, et, par instinct, ne craignant point Mme de RĂÂȘnal, il se livrait au plaisir d'exister, si vif Ă cet ĂÂąge, et au milieu des plus belles montagnes du monde. DĂšs l'arrivĂ©e de Mme Derville il sembla Ă Julien qu'elle Ă©tait son amie; il se hĂÂąta de lui montrer le point de vue que l'on a de l'extrĂ©mitĂ© de la nouvelle allĂ©e sous les grands noyers; dans le fait, il est Ă©gal, si ce n'est supĂ©rieur Ă ce que la Suisse et les lacs d'Italie peuvent offrir de plus admirable. Si l'on monte la cĂÂŽte rapide qui commence Ă quelques pas de lĂ , on arrive bientĂÂŽt Ă de grands prĂ©cipices bordĂ©s par des bois de chĂÂȘnes, qui s'avancent presque jusque sur la riviĂšre. C'est sur les sommets de ces rochers coupĂ©s Ă pic, que Julien, heureux, libre, et mĂÂȘme quelque chose de plus, roi de la maison, conduisait les deux amies, et jouissait de leur admiration pour ces aspects sublimes. - C'est pour moi comme de la musique de Mozart, disait Mme Derville. La jalousie de ses frĂšres, la prĂ©sence d'un pĂšre despote et rempli d'humeur avaient gĂÂątĂ© aux yeux de Julien les campagnes des environs de VerriĂšres. A Vergy, il ne trouvait point de ces souvenirs amers; pour la premiĂšre fois de sa vie, il ne voyait point d'ennemi. Quand M. de RĂÂȘnal Ă©tait Ă la ville, ce qui arrivait souvent, il osait lire; bientĂÂŽt, au lieu de lire la nuit, et encore en ayant soin de cacher sa lampe au fond d'un vase Ă fleurs renversĂ©, il put se livrer au sommeil; le jour, dans l'intervalle des leçons des enfants, il venait dans ces rochers avec le livre, unique rĂšgle de sa conduite et objet de ses transports. Il y trouvait Ă la fois bonheur, extase et consolation dans les moments de dĂ©couragement. Certaines choses que NapolĂ©on dit des femmes, plusieurs discussions sur le mĂ©rite des romans Ă la mode sous son rĂšgne lui donnĂšrent alors, pour la premiĂšre fois, quelques idĂ©es que tout autre jeune homme de son ĂÂąge aurait eues depuis longtemps. Les grandes chaleurs arrivĂšrent. On prit l'habitude de passer les soirĂ©es sous un immense tilleul Ă quelques pas de la maison. L'obscuritĂ© y Ă©tait profonde. Un soir, Julien parlait avec action, il jouissait avec dĂ©lices du plaisir de bien parler et Ă des femmes jeunes; en gesticulant, il toucha la main de Mme de RĂÂȘnal qui Ă©tait appuyĂ©e sur le dos d'une de ces chaises de bois peint que l'on place dans les jardins. Cette main se retira bien vite; mais Julien pensa qu'il Ă©tait de son devoir d'obtenir que l'on ne retirĂÂąt pas cette main quand il la touchait. L'idĂ©e d'un devoir Ă accomplir, et d'un ridicule ou plutĂÂŽt d'un sen
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